Mieux vaut un RSA qui tombe tous les mois plutôt qu’une pluie de gifles qui tombe tous les jours. Mon RSA une nouvelle signée Solange Schneider pseudo Zalma
Je relis pour la troisième fois le mail que je viens d’envoyer à Alex :
De sol.atlan@gmail.com
À alex.delorme@hotmail.fr
« Alex,
Non, je ne reviendrai pas sur ma décision. Pas après ce qu’il s’est passé. Une « gifle accidentelle » ? Non, Alex, une gifle n’est jamais accidentelle… Pour s’expliquer, il y a les mots. Pas cette violence.
Alors oui, j’ai mal. Oui, ma déception est immense, mais je maintiens cette décision d’annuler notre mariage.
Je te demande de ne plus me contacter, sous quelque forme que ce soit, si tu éprouves encore un peu d’amour et de respect pour moi.
Même si je ne t’oublierai jamais, même si mon cœur saigne encore, ce mail est un adieu définitif à nos projets et à nos rêves.
Solène
PS : je me charge d’annuler la réservation de la salle que nous avions prévue pour le mariage, je te laisse t’occuper du reste ».
Et maintenant, il y a ce vide en moi, en plus de l’immense chagrin qui m’envahit. Mais je n’ai guère le loisir de m’appesantir sur ce que je ressens, l’administratif relève de l’urgence ! Pourquoi ai-je démissionné si vite ? Si seulement je pouvais retourner en arrière, au moins conserver mon travail ! Même si j’en avais plus que marre de donner des cours de communication chez « Bac Leroy », au moins, j’avais un travail…
Là, il va falloir que je retrouve un job d’urgence, n’importe lequel. Et surtout, prendre rendez-vous avec Pôle Emploi, voir ce qu’on va me proposer, comment je vais m’en sortir…
Deux jours plus tard :
Je prends place sur la chaise en plastique dur et gris qu’on me désigne. J’expose les évènements récents, de la façon la plus claire possible, en expliquant que lorsque j’ai donné ma démission, c’était pour me marier et quitter la région, parce qu’Alex habite Paris, et moi Toulouse. Je n’avais donc pas le choix !
Je veux savoir si je peux percevoir des indemnités de chômage, au moins le temps de retrouver un emploi. La réponse claque comme un coup de fouet :
Je regarde le type usé assis en face de moi, avec son vieux pull beige et ses cheveux mal coupés, et j’explique à nouveau ma situation :
Je sens que l’homme s’impatiente, coincé derrière son bureau minuscule et sans couleurs. Il regarde l’écran de son ordinateur, tapote le clavier. J’essaye à nouveau d’expliquer, c’est peine perdue.
J’ai l’impression d’avoir en face de moi un disque rayé, sans la moindre once d’humanité. J’insiste et commence à paniquer :
Là, je craque nerveusement :
En plus de réagir comme un robot, ce type me parle de trucs que je ne connais même pas.
Il m’explique de quoi il s’agit, ainsi que le montant auquel je pourrai prétendre, à condition de fournir tous les éléments afin que mon dossier soit complet.
Je réagis immédiatement :
Je quitte les locaux de Pôle Emploi, désemparée et profondément dégoûtée. Bien sûr, à part vivre sous le Pont-Neuf, je peux : habiter chez ma mère, ce qui est exclu ; habiter chez ma collègue Anny, je préfère éviter ; habiter chez ma sœur, la douce Lyza… Ce serait la solution la moins mauvaise en attendant, et je serais la baby-sitter de Soizic et Maxence. Pour un peu, ça me ferait presque rêver…
J’entends les premières notes de musique… il y a une fête ce soir, Place du Capitole. Aucune envie de m’y rendre, bien qu’Anny ait insisté, arguant que ça me changerait les idées. Je saisis ma calculatrice pour la troisième fois et recommence mes calculs : si je règle mon loyer le mois prochain, ainsi que les factures et les courses raisonnables, sans aucun achat compulsif, il restera sur mon compte en banque, le 30 avril 2019 : 94,50 euros.
Ni plus, ni moins. Je n’ai pas inclus dans mes calculs le RSA, parce que le type de Pôle Emploi m’a expliqué que mon dossier sera d’abord étudié avant d’être accepté, ce qui prendra du temps… ce qui ne m’étonne pas, puisque ce n’est pas lui qui patauge dans la gadoue.
Je me dirige vers la salle de bains pour me doucher, tenter de me détendre un peu. Et tout à coup, sans aucune raison, j’ai l’impression de sentir l’odeur d’Alex, je revois les moments que nous avons partagés, son regard profond et son sourire lumineux.
Je me mets à pleurer, voudrais tant pouvoir revenir en arrière, faire que cette gifle affreuse n’ait jamais existé. Ça dure un moment, un long moment… et puis la colère me submerge à nouveau. J’écoute les messages d’Alex, sa belle voix… et je les efface aussitôt pour être sûre de ne pas succomber.
Même chose pour les mails, mais c’est moins dur parce qu’il n’y a que des mots écrits et aucun son. Il continue à me dire qu’il est prêt à patienter, si je veux reporter la date de quelques mois. J’image qu’on pourrait se marier en automne, au milieu des feuilles roussies, ou bien en plein hiver, quelques flocons de neige tomberaient, tout blancs et doux. Puis je chasse ces images aussi vite qu’elles surgissent. Je dois m’en tenir à ma décision.
Ma sœur a raison quand elle me dit : « S’il l’a fait une fois, il recommencera… tu peux en être sûre ! ».
Et je ne veux pas rejoindre le cortège de ces femmes qui ont cru un jour que « ça pouvait s’arranger ». Non, je ne veux pas.
Alors tant pis, je me débrouillerai avec mon RSA. Quitte à manger des pâtes sans beurre tous les jours, quitte à devoir déménager dans un logement minuscule, faute de pouvoir payer mon loyer actuel. Quitte à faire des jobs pourris avant de retrouver un boulot normal…
Parce que quoi qu’il en soit, mieux vaut un RSA qui tombe tous les mois plutôt qu’une pluie de gifles qui tombe tous les jours.