En ce temps de début de "reconfinement", Solange Schneider nous a concocté un petit texte dans l'air du temps...
Lundi, 14 heures :
Je m'entends prononcer cette phrase d'un ton léger, comme j'aurais dit « bonne journée » ou « bon week-end », il n'y a pas si longtemps. « Bon confinement ! », comme si rester cloîtré chez soi avait quelque chose de festif, comme s'il s'agissait d'un anniversaire, ou bien de vacances attendues depuis longtemps.
Mais non, rien de tout ça en vue !
Et le pire, c'est qu'elle me répond, madame Mouchar :
Comme si je partais en voyage...
Bien sûr, que je vais « revenir la voir », madame Mouchar, la marchande de fruits et légumes que j'ai souvent boudés parce qu'ils étaient un peu trop chers. Mais finalement, à deux pas de chez moi, ce n'est pas si mal que ça, cette petite épicerie. Et puis, ça m'évitera de rédiger cette fastidieuse attestation, vu que l'imprimante ne fonctionne plus. Pour quelques mètres, je ne pense pas que je risque une contravention.
Je range les rouleaux de papier toilette sous les légumes, histoire de ne pas choquer ma voisine si je la croise en montant les escaliers, et en avant ! Je pousse la porte de l'épicerie, avec l'impression de porter des poids de sportif, tant mon sac est rempli de toutes sortes de choses : y'a pas à dire, le mot « confinement » déclenche, à chaque fois, l'idée d'une pénurie à venir ; l'idée qu'on risque de rester coincé chez soi durant des semaines, sans pouvoir mettre le nez dehors, avec la peur sourde de voir les commerces de proximité fermer leurs portes, les uns après les autres. Déjà qu'il ne reste plus guère que l'alimentation...
Alors que je m'apprête à rentrer dans mon immeuble, j'aperçois le coffre entrouvert de la grosse Volvo grise : c'est le type du dessus, avec sa femme, des retraités. Et ils ont fait des stocks, je suis sûre qu'ils s'apprêtent à prendre le large, comme la dernière fois.
Je sens une rage m'envahir telle une vague de chaleur. Je pose mon sac et sors mon portable : en quelques clics, j'ai les preuves en couleur. Les preuves de leur lâcheté et de leur égoïsme, de leur laideur morale. De leur manque total de civisme. Et le pire, c'est qu'ils ne s'en cachent même pas !
15 heures :
Je savais que Pierre essayerait de m'en dissuader, mon mari a toujours été quelqu'un de calme, il ne comprend pas, j'insiste :
Voilà, tout de suite les grands mots. Alors que je ne dramatise rien. Et puisque Pierre ne comprend pas, je dégaine mon portable et fais défiler la série de photos que j'ai prises, tout à l'heure.
Je m'entends crier, tandis que défilent les photos de la Volvo, coffre ouvert :
Jeudi, 18 heures :
Je raccroche, excédée. Une fois de plus, ma mère cherche le sel, le poivre, se trompe de jour et d'heure.
Ces derniers temps, ça lui arrive de plus en plus souvent. « C'est l'âge », a affirmé le médecin, d'un ton assuré. En attendant, il va falloir que je passe lui rendre visite, pour m'assurer qu'elle ne manque de rien.
J'écris mon attestation à la main, en indiquant clairement que je vais « rendre visite à une personne vulnérable ».
19 heures :
Voilà, tout est stocké là, m'annonce fièrement ma mère en ouvrant la porte de son dressing. Au lieu des vêtements qui s'y trouvent habituellement, je vois une vingtaine de paquets de rouleaux de papier blanc, exactement comme lors du premier confinement. Je racle ma gorge et tente :
Qu'est-ce que je peux répondre à ça, franchement ? Alors, je dis :
Et là, je réalise que je suis comme mon mari, pas mieux : je tiens le même discours que je trouve si stupide...
Tant pis, la terre ne s'arrêtera pas de tourner pour autant, du moins, je l'espère !
Un texte signé Solange Schneider pseudo Zalma écrivain, auteur de « Chemins étranges » et « Points de fuite »