Ils veulent des femmes parfaites, vous savez, des femmes qui acquiescent, hochent la tête, répondent à leurs moindres souhaits. Les tracas, les embarras, tout ça ne les intéresse pas. Ils veulent se coucher l’âme en paix, ils veulent se réveiller à côté d’un sourire, même figé, du moment que la bouche se tait ou prononce des mots simples : « J’ai préparé le café, tu en veux ? »
Elle lève les yeux vers moi ; ils sont gris, très clairs, légèrement cernés, comme une ombre balayant son regard triste. Elle dit :
Vous savez, au début, ils disent toujours « je t’aime ». Il ne faut pas les croire, mais c’est difficile, la tentation, vous comprenez ? Ils embrassent une image et vous voulez lui ressembler. Vous vous formez une vague idée de ce qu’il faut être. Peu à peu, vous ajustez votre comportement, votre discours. Vous voici alors un être emprunté, il est trop tard pour reculer. Vous continuez, vous avancez dans le chemin tracé. Au fond, ce n’est pas très difficile ; c’est un peu comme un vêtement : on repasse, le pli est pris. Bien sûr, un jour ou l’autre, il se défait…
Sa voix atone, son débit continu m’étonnent. Cette façon impersonnelle de se dire me semble étrange. Elle poursuit :
Il est trop tard.
S’écoulent de longues minutes de silence. Je ne l’interromps pas.
Vous êtes en état de choc.
Je veux qu’elle m’explique ce choc, ce qu’elle a ressenti. Je dis : « Vous avez dû beaucoup souffrir le soir de son départ ». Elle continue :
Vous changez les draps du lit.
Je saisis ce détail : « Donc, vous avez changé les draps. Avez-vous changé d’autres choses encore ? » Elle dit :
Je demande : « Vous croyez qu’il vous a oubliée ? »
Au cours d’une soirée, un homme vous aborde. Vous ne l’écoutez pas, vous faites semblant. Il dort dans vos draps. Vous souriez. Le lendemain, vous préparez le café. Vous hochez la tête, vous acquiesciez.
Il veut vous revoir, vous hésitez. La tentation, vous comprenez ?
Il dépose ses vêtements dans l’armoire. Il installe son rasoir, il dépose ses chaussures dans le placard…
Au bout de six mois, vous êtes fatiguée de sourire, d’empêcher vos doigts de trembler, vos yeux de s’embuer et votre langue de parler. Fatiguée de camoufler, d’occulter. Alors, vous prononcez les mots : « inquiétude, fatigue, lassitude ». Il se raidit, se rétracte.
Pendant votre absence, il rassemble ses vêtements, les jette dans sa valise. À votre retour, vous trouvez la maison vide. Il n’a pas laissé de traces, pas même un peu d’encre sur un papier, mais ça, vous le saviez déjà…
Vous vous couchez dans le lit trop grand. Le lendemain, vous récurez le plancher, les meubles, les objets.
Vous savez qu’au début, ils disent toujours « je t’aime ». Il ne faut pas les croire.
Ses doigts fouillent son sac, trouvent une enveloppe cachetée. Elle me la tend, me demande de l’ouvrir après son départ seulement. Elle serre la main que je lui tends, descend les escaliers. Je m’approche de la fenêtre, la suis du regard. Son ombre disparaît au coin de la rue. J’ouvre l’enveloppe, sors le papier qui s’y trouve, le déplie. Je lis :
« Vous vous rendez chez un médecin spécialisé. Vous lui avez donné une fausse adresse, une fausse identité. Il vous écoute, un peu distrait. Il ne soulage pas vos maux. Vous rentrez chez vous.
Votre maison est un souffle glacé.
Vous allez dans la cuisine, vous ouvrez le robinet du gaz, vous vous allongez. Un peu plus tard, vous ne souffrez plus ».
Une nouvelle signée Solange Schneider pseudo Zalma écrivain, auteure de « Chemins étranges », « Points de fuite », et « Demain, tout ira bien ! » et « Ma vie en rouge et noir »