"Si tout va bien…", une nouvelle, signée Solange Schneider, pseudo. Zalma, inspirée du recueil Points de fuite. Je les entends chuchoter dans l’obscurité…
Si tout va bien…
Je marche dans la nuit épaisse et ils me suivent, posent leurs pas dans les miens, enfoncent la boue brune, repoussent les branches qui craquent.
Leurs semelles sont usées, ils avancent sans sommeil, portant leurs sacs trop lourds ; leurs doigts sont gourds. Ils n’ont rien emporté, juste cet espoir fou, déjà un peu usé, mais ils continuent de rêver malgré les larmes au fond de leurs yeux fatigués. Ils croient sans jamais voir, aveugles et sourds… Ils imaginent les villes et les espaces immenses, et croient que demain sera pour eux leur nouveau jour. Ils croient en ces terres neuves, ces terres de liberté et de statues figées, de billets verts qui tomberaient dans leurs mains. Mais pour l’instant, c’est eux qui ont payé et tout donné.
Je les entends chuchoter dans l’obscurité, une langue que je ne comprends pas. Je leur dis de se taire. Alors ils ont peur… peur des bruits, d’être trahis, volés, emprisonnés. Peur de retourner au fond du rêve évanoui, d’ingurgiter ce qu’ils viennent de quitter. La sueur perle sur leurs fronts nus mais je ne la vois pas ; je sens son odeur : c’est l’odeur de la peur.
Trois jours que nous marchons, et trois nuits sans sommeil, dans nos solitudes enfermés. Parfois, l’un d’entre eux m’appelle tout bas : « Steve, Steve ! ». Il n’a pas compris mon nom, je ne suis pas sûr qu’il ait compris les règles du jeu…
Quand ils cessent de marcher quelques instants et qu’ils me voient dans la pénombre, moi aussi essoufflé, leurs pupilles se mettent à briller : je sens que s’ils le pouvaient, ils arracheraient jusqu’à mes yeux, parce qu’ils savent que je suis de la race des rapaces. Mais ils reprennent la route de broussailles et d’épines, c’est le chemin tordu et sombre que je leur montre. Sans moi, ils sont perdus. Après moi, ils le seront tout autant, emmurés de silence, avec leurs papiers falsifiés, et leurs noms aussi faux que le mien.
Car après moi sera l’Arizona, si tout va bien… mais déjà leurs rêves clandestins seront éteints, et leurs mains égarées au fond de leurs poches vides.
Si tout va bien… ils pourront lustrer les larges bureaux d’or et de cuir ornés, laver des kilomètres de baies vitrées derrière lesquelles s’étalent les villes illuminées. Ils pourront nettoyer et cirer les parquets de ceux qui remplissent et pourrissent les banques de paquets de billets, et ils pourront maudire tous leurs rêves insensés.
Au fond, je suis comme eux… mais je suis en chemin, quelques rêves plus loin, des rêves éteints, aussi morts qu’enterrés. Je m’appelle John Steven. Mon nom est aussi faux que mes papiers.
Je m’appelle John Steven et je regarde devant moi, et je vois s’étaler toute ma vie frelatée, sans avenir et sans passé.
Si tout va bien, nous passerons la frontière, demain, sera l’Arizona… Si tout va bien…
Nouvelle inspirée du recueil Points de fuite
9 commentaires
Si tout va bien on s’en sortira…..L’arizona territoire des apaches et des Hells Angels….
Bon Samedi
@+ Pat
Tout à fait.
j’ai l’impression d’avoir fait cette photo à Sainte Suzanne ; c’est idiot mais troublant.. j’aime beaucoup
Et pourtant cette photo, je l’ai fait à Villeneuve sur Lot. Merci
et cela enrichit comme toujours ceux qui profitent de la misère
Le monde est monde…
Superbe texte ! Merci Zalma. Où peut-on trouver vos Points de fuite ?
Merci pour Zalma, je la laisse répondre, et au cas où je t’enverrai l’information.
Bonsoir, Yves !
Très heureuse que le texte vous plaise… Je prendrai contact avec vous par Facebook, ce sera plus simple.
On trouve mon recueil facilement sur Paris, dans les librairies L’Harmattan, mais en province, c’est plus compliqué… aussi, je propose souvent l’envoi direct avec dédicace (il m’en reste encore quelques exemplaires… ). C’est mieux que par Amazon, je trouve…
Je vous dis donc « à bientôt » !