Les cheveux portent nos histoires, nos héritages, nos révoltes. Histoire sentimentale de mes cheveux, d’Estelle-Sarah Bulle, ne parle pas simplement de coiffures ou de textures, mais bien d’identité, de mémoire et de résistance. À travers ce récit intime et vibrant, l’autrice explore le poids des origines, la beauté du métissage, et ces luttes invisibles que l’on mène parfois… un peigne à la main.
Ce livre est une ode à ce que nos cheveux racontent de nous, de nos familles, de nos quêtes intérieures. En filigrane, il interroge les injonctions sociales, les non-dits des lignées, et la force d’une affirmation de soi qui passe par la racine—au sens propre comme au sens figuré. Estelle-Sarah Bulle tisse un texte où chaque boucle, chaque mèche, devient un symbole de liberté et de transmission.
Un roman qui parle de nous tous, même si l’on croit que nos cheveux ne portent aucune histoire. Et si, finalement, ils étaient les derniers gardiens de ce que nous avons oublié ?
Une mèche de vérité, une crinière de combats
Vous est-il déjà arrivé de vous sentir jugé rien qu’à cause de vos cheveux ? Pour Estelle-Sarah Bulle, cette sensation a traversé toute une vie. Dans Histoire sentimentale de mes cheveux, elle explore avec sensibilité, lucidité et poésie le poids d’une chevelure crépue dans une société où la norme est souvent lisse, blonde, silencieusement homogène. Loin d’un simple récit autobiographique, ce texte dense et vibrant devient un miroir tendu à notre époque.
Une identité au fil du cheveu
Estelle-Sarah Bulle n’a pas choisi ses cheveux. Crépus, indisciplinés, rebelles — ce sont eux qui l’ont choisie, qui l’ont façonnée, qui l’ont parfois enfermée. Le récit s’ouvre sur cette prise de conscience : les cheveux ne sont pas qu’une question d’apparence, ils sont un manifeste. Être métisse en France, avoir grandi entre Créteil, la Guadeloupe et la frontière franco-belge, c’est fréquemment ne jamais vraiment “être d’ici”.
Ses cheveux, symboles visibles de son altérité, deviennent alors le fil rouge d’une introspection profondément politique. La question n’est pas anodine : peut-on devenir écrivaine en France en portant une couronne de cheveux crépus ? Rien n’est moins sûr.
Le poids du regard des autres
Les cheveux, dans leur état naturel, dérangent. Les laisser libres, “en cheveux”, est encore perçu comme un acte subversif. Et cela, Estelle-Sarah Bulle le décrit avec une acuité douloureuse. Dans la cour de récréation, dans les couloirs d’entreprise, dans les rayons des supermarchés, les remarques fusent, souvent sous couvert d’humour : “Tu ne pourrais pas faire quelque chose avec ça ?”, “C’est quoi ce truc sur ta tête ?”, ou encore le très classique “Tu serais tellement jolie avec les cheveux lissés.”
Derrière ces micro-agressions quotidiennes se cache une violence sourde, insidieuse, qui mine l’estime de soi. Alors on apprend à cacher, à dompter, à lisser, à brûler même, jusqu’à se perdre. Et ce que l’autrice restitue, c’est le vertige de cette perte d’identité, de cette tentative d’effacement.
Une éducation capillaire au long cours
Le texte prend également le temps de dévoiler les réalités concrètes du cheveu crépu : les heures passées à démêler, tresser, lisser, masquer. Les produits chimiques agressifs, les perruques, les extensions — autant de moyens de se conformer à une norme oppressante.
Mais ce travail, souvent invisible, est aussi une forme de résistance. Il faut du courage pour affirmer son identité à contre-courant. En confiant ces instants intimes, Estelle-Sarah Bulle nous permet de mieux comprendre, avec empathie, ce que signifie grandir avec des cheveux qu’on vous apprend à haïr.
Quand la plume se fait politique
À travers ce récit, c’est aussi une trajectoire vers l’écriture qui se dessine. Une écriture née dans l’ennui des après-midis en banlieue, nourrie par la lecture, inspirée par Michael Jackson, renforcée par les blessures. L’intime devient alors politique, et la plume devient arme.
Estelle-Sarah Bulle rappelle, avec finesse, que les cheveux sont un sujet littéraire à part entière. Ils inspirent, ils interrogent, ils révèlent. En convoquant Maryse Condé ou encore ses échanges avec des lycéens en CAP coiffure, l’autrice inscrit sa réflexion dans un cadre plus large, celui des transmissions, des identités plurielles et du rôle de la culture dans l’émancipation.
Une voix singulière dans le paysage littéraire français
Estelle-Sarah Bulle n’en est pas à son coup d’essai. Révélée avec Là où les chiens aboient par la queue, elle a su imposer une voix singulière, puissante, marquée par un attachement profond à ses racines caribéennes. Dans Histoire sentimentale de mes cheveux, elle ajoute une corde à son arc : celle de l’essai autobiographique, entre introspection et dénonciation sociale.
Sa capacité à mêler observations fines, humour discret et émotion brute fait de ce livre un texte accessible et nécessaire. Il donne à entendre des voix trop souvent reléguées au silence, des récits étouffés par les diktats de la “neutralité” française.
Conclusion : Quand les cheveux parlent, écoutez-les
Les cheveux ne sont pas de simples fibres. Ils sont mémoire, fierté, révolte. Dans Histoire sentimentale de mes cheveux, Estelle-Sarah Bulle nous rappelle que ce qui se joue sur le cuir chevelu est souvent le reflet d’enjeux plus vastes : racisme, identité, regard de l’autre, désir d’appartenance.
Ce livre est une invitation à reconsidérer ce que nous pensons être des détails. À écouter ceux qui, longtemps, ont été forcés de se taire — ou de se lisser. À accueillir toutes les formes de beauté et de récit. Et surtout, à comprendre que derrière une chevelure se cache souvent une histoire qu’il serait dommage de ne pas lire.
Titre : Histoire sentimentale de mes cheveux
Autrice : Estelle-Sarah Bulle
Nombre de pages : 240 pages
Date de parution : 2 avril 2025
Editeur : Bayard
ISBN : 978-2227501669
Et vous, que racontent vos cheveux ?
Ce récit vous a-t-il touché ? Avez-vous, vous aussi, une histoire sentimentale avec vos cheveux ? Que vous soyez crépus, lisses, bouclés, rasés ou en transition, partagez vos pensées et vos expériences en commentaire. Vos mots comptent.
4 commentaires
J’ai lu en effet « Là où les chiens aboient par la queue » et celui-ci pourrait me plaire aussi…
J’ai apprécié cette lecture.
C’est intéressant, car en ce moment, il y a des BD qui sont sorties sur ce thème des cheveux comme « Frizzy » ou « Racines ». Les cheveux peuvent être source de discrimination, et les effets de mode impitoyables.
C’est un sujet essentiel.