A moins que je n'accepte la « garde partagée ». Ce qui revient à découper les deux loulous en deux parties égales… « Maman comblée » une nouvelle signée Solange Schneider pseudo Zalma
Maman comblée…
« Je suis une maman comblée de deux adorables loulous… ». Non, je ne peux pas écrire ça : tout d'abord parce que c'est entièrement faux : je ne suis pas « comblée » mais « débordée », et ensuite, je ne vois pas pour quelle raison je devrais parler de moi à la troisième personne en énonçant le mot bêtifiant de « maman ». Et quant à mes « loulous », pourquoi ne pas énumérer leurs prénoms ?
Dire qu'il faut remplir toutes ces cases pour espérer trouver un type potable, et encore… si j'en crois les copines, ce n'est pas gagné parce que mon divorce m'a « dévaluée ». Oui, elles m'ont dit ça comme ça, l'autre soir, en plongeant leurs cuillers dans l'énorme gâteau au chocolat commandé tout exprès pour mon trente-septième anniversaire : « Mais oui, ma chérie… ce n'est pas comme si tu avais vingt ans et pas d'enfants ! Tu traînes des casseroles, ma vieille… ».
Donc, si je comprends bien, mes « adorables loulous », ainsi que ma pédiatre les appelle, sont subitement devenus « des casseroles ». Bon, ben… faudrait savoir, hein !
– Mais c'est normal ! A presque hurlé de rire Béa. Tant que tu es mariée, ce sont « deux adorables loulous », mais à partir du moment où tu es divorcée, ce sont « des casseroles ».
– Mais pourquoi ? J’ai insisté.
– Parce que ce ne sont pas les gosses de ton futur mec, voilà. Donc, tes « adorables loulous », crois-moi, il s'en fout d'avance, même s'il va faire semblant de s'y intéresser.
J'ai plongé mon nez dans mon verre de mojito en me demandant pour quelle raison le monde, la vie, tout était aussi compliqué depuis mon divorce, quand le téléphone s'est mis à sonner.
– Ma chérie, je ne veux pas gâcher ta soirée d'anniversaire, mais Margot a une mauvaise toux… est-ce que le pédiatre lui a prescrit un sirop ?
Là, j'ai réfléchi à toute allure à ce que j'allais répondre, en hésitant entre dire la vérité, soit : « non, maman, je n'ai pas pu aller travailler et emmener, en même temps, Margot chez le pédiatre.
Parce que je ne me suis pas dédoublée depuis mon divorce, hein ! ». Ou bien, sortir un bon petit mensonge : « Oh oui, bien sûr, mais ils ne l'avaient pas à la pharmacie, et ils m'ont dit que le miel d'acacia pouvait aussi bien faire l'affaire ! ».
Après avoir opté pour « le miel d'acacia », je m'en suis voulue : pour quelle raison est-ce que je m'amusais à faire croire à tout le monde que j'avais dix bras, douze paires de mains et de pieds, et trois cerveaux ? En même temps, j'écoutais d'une oreille distraite le bourdonnement maternel familier : « ah bon, le pharmacien en est sûr ? Parce que c'est une toux rauque, ma fille, et tu sais, ça pourrait dégénérer en bronchite en moins de temps qu'il ne faut pour le dire et… ».
J'ai effectué un rapide calcul mental, en me demandant combien de semaines, de jours, de mois, j'allais tenir à bouts de bras mes « deux loulous », mon boulot, les papiers et les maladies, ainsi que le chagrin et la colère que m'inspirait encore mon divorce tout neuf. Et aussi, pour quelle raison je voulais « trouver quelqu'un ».
Oui, pour quelle raison ? Pour emmerder mon ex-mari ? Pour me prouver que j'étais encore « une femme » et pas juste « une maman comblée de deux loulous » ?
Pour, une fois de plus, répondre « présente » aux diktats que les revues féminines énoncent à longueur de temps, entre deux « femme libérée » et deux pages de mode aliénante ; mais libérée de quoi, au juste ?
De rien du tout. A moins que je n'accepte la « garde partagée ». Ce qui revient à découper les deux loulous en deux parties égales, pour ne froisser aucun des deux parents, et surtout, pour avoir sa tranquillité une semaine sur deux : pas de lessives, ni de courses, ni de devoirs ni de bazar à la maison…
– Mais accepte ! A insisté Béa. Là, tu ressembles à un fantôme, alors qu'avec des vacances une semaine sur deux, tu pourras enfin t'occuper de toi. Et te trouver un mec.
– Pourquoi est-ce qu'il faut à tout prix que je « me trouve un mec », Béa, tu peux me le dire ? Ai-je répondu, en sentant une pointe de venin chatouiller ma langue. Pour satisfaire la libido d'un type que je ne connais de nulle part et qui va considérer que mes enfants sont « des casseroles » ?
Béa a remonté son décolleté, en me lançant un regard méfiant.
– Je ne vois pas ce qu'il y a de mal à se faire du bien, a-t-elle articulé, en claquant sa langue sur son palais de façon agacée, ainsi qu'elle le fait depuis qu'elle a sept ans.
Car Béa et moi, c'est une longue histoire… une histoire d'amitié et de querelles, une histoire de « jamais d'accord sur rien mais on s'adore quand même » !
Alors, j'ai osé ajouter :
– Béa, je suis une mère dépassée, qui ne supporte plus le désordre permanent dans sa maison, ni cette course de tous les jours et de tous les instants. Je ne suis pas une « maman épanouie de deux adorables loulous », et je ne l'ai jamais été, même pas lorsque j'étais mariée.
Mais je ne vais pas couper mes gosses en deux comme un gâteau pour faire plaisir au juge et à mon ex, et soi-disant m'éclater avec de parfaits inconnus. Non, je vais m'occuper de mes deux petites casseroles qui font un bruit d'enfer et me cassent trop souvent les oreilles, et je sais très bien ce qu'il m'en coûtera : ne jamais « refaire ma vie », ni « faire carrière ».
Mais tu vois, même si l'injustice ressemble à une gifle qu'on me crache au visage tous les jours, Julien et Margot valent mieux qu'un gâteau coupé en deux.
8 commentaires
Une belle analyse d’une maman divorcée avec deux enfants à charge …
Bon samedi !
Bisoux cher bernie.
avis partagé
A 37 ans, je prends encore et pour les 2 loulous, j’engage une nounou….
@+
Tu as le sens pratique
C’ est mieux que le jugement de Salomon !
C’est juste.
Zalma, je me régale en vous lisant. Le ton est si juste, avec la sensibilité et l’humour qu’il faut !
je suis tout à fait d’accord