Découvrons ensemble un extrait de cette très belle nouvelle « Soleil intense », du recueil « Chemins étranges », par Solange Schneider.

Soleil intense

Extrait

Nous sommes partis à l’heure, avons claqué les portières de la voiture et démarré le moteur. Paul s’impatientait parce que je mettais trop de temps à boucler ma ceinture de sécurité, que je trouvais ce geste stupide et illusoire. J’ai dit :

• Comme si cette bande de tissu allait vraiment nous protéger d’un accident…
• Ne fais pas l’enfant, Alice ! C’est justement pour qu’en cas d’accident, tu puisses sortir de cette voiture indemne…
• Dans ce cas, j’aurais préféré rester à la maison : au moins, j’aurais été sûre de ne pas risquer l’accident.
• Alice, tais-toi, s’il te plaît et attache cette ceinture normalement !

J’ai bouclé ma ceinture en ajoutant : « Je me serais bien passé de cet anniversaire de mariage… », et j’ai vu les mains de Paul se crisper sur le volant. J’ai pensé que nous entamions notre énième querelle, que le trajet se déroulerait ainsi, entre cris et reproches, une habitude prise au fil du temps et j’ai fermé les yeux. J’ai commencé à imaginer un paysage merveilleux, peuplé d’êtres charmants et gais, plantés dans un jardin verdoyant au lieu de cette campagne morne que je voyais défiler par la fenêtre dès que je soulevais les paupières.

La route était presque déserte, mais nous l’empruntions souvent car Paul l’aimait bien, je crois. J’ai demandé à mon mari quel âge avaient ses parents à présent, et il s’est énervé : « Bon sang, Alice… mais ce n’est pas possible que tu ne te souviennes jamais de rien ! Au fait, tu as bien calé le vase dans le coffre, au moins ? » Je n’ai pas répondu immédiatement et Paul a reposé sa question, sur un ton agacé, en ajoutant que nous n’avions plus le temps de faire demi-tour. J’ai murmuré :

• Paul… je crois qu’il est resté à la maison… sur la table du salon…
• Dis-moi que c’est une plaisanterie, Alice !

Je me suis recroquevillée sur mon siège en marmonnant que je ne plaisantais pas, que ce n’était pas si grave que ça, que nous pourrions offrir ce vase une autre fois, un peu plus tard.

La voiture a soudain ralenti pour s’arrêter brusquement, et j’ai entendu la voix glaciale de Paul :

• Descends, Alice… descends immédiatement !

Je n’osais pas le regarder et sa voix a continué, sèchement :

• Je te demande de sortir, tu m’entends ? Sors de cette voiture, Alice !
• Paul, tu deviens fou…
• C’est toi qui me rends fou, Alice, et maintenant, tu vas sortir !

Sa main a dégrafé la ceinture de sécurité, a ouvert la portière et m’a littéralement projetée hors de l’habitacle. J’ai roulé sur le talus herbeux, tandis que Paul redémarrait, et j’ai vu la voiture s’éloigner comme dans un mauvais rêve…

…

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