L'auteure a publié chez L'Harmattan ses deux premiers recueils, et a remporté le grand prix du court pour sa nouvelle « La gazelle et le tambour » (voir l'article de presse). Ses histoires sont aussi bien réalistes que fantastiques… au lecteur de les découvrir !
Titre de la nouvelle : « L'étrangère » (extrait)
Chaque jour, je traverse les odeurs jaunes d’épices et de soleil, marché immense à ciel ouvert, longues galeries ocres et rouges, étals de fruits sucrés, d’eau gorgés. J’entends les clameurs sourdes et les cris chuchotés, les petites pièces qui claquent, monnaie donnée, rendue, marchandises empaquetées.
Chaque jour, mes bras nus chauffent sous le soleil d’été. Il brûle ma peau. Elle se fissure et craque. Ma gorge avale la chaleur sèche, souffle d’air rêche. Au-dessus de moi, le ciel comme un plomb bleu engloutit mes forces, et je trébuche parfois dans la lumière trop dense. Alors, je respire les couleurs, petites coupelles dorées, dunes de safran ardent, poudre légère de feu vif.
Chaque jour, je déambule dans les allées du grand marché, là où les hommes et les femmes se croisent mais sans se regarder. Sans oser.
Moi, je suis l’Étranger, celui dont les yeux ne se ferment jamais…
L’hôtel, bousculé par le vent, abrite mes nuits sans sommeil. Il est mon seul refuge, le lieu qui ancre mon errance, porte les vagues où tanguent mes chimères. Moi, l’étranger à ce pays où s’ouvrent mes vertiges et mes fêlures… Ma peau claire est rougie du vent salé des embruns de la mer, du souffle chaud du désert. L’air sec a brûlé mes yeux, mais pas assez puisque encore je peux la regarder.
Elle est accompagnée, toujours accompagnée au milieu de ce vaste marché, je la vois déplacer son ombre noire, mouvante. Sous son vêtement, je dessine son corps, le sens bouger, le vois plus que s’il n’était caché. Il m’appartient déjà… L’homme à ses côtés ne m’aperçoit jamais. Il est très jeune, il parle fort et rit de sa bouche édentée.
Trois jours que je la vois danser, silhouette obsédante derrière l’ombre du voile, fasciné par la lueur qui perce ses yeux.
Trois jours que je happe son regard, le vois tourbillonner, balayer le sol et puis descendre enfin au fond du mien : furtif éblouissement.
Trois jours que se croisent nos étrangetés… j’observe ses mains lisses et brunes. Elles palpent les fruits, les posent au fond du panier, jettent la monnaie. Sans un mot.
Trois jours que je poursuis ses pieds agiles, enfermés dans la chaleur d’été. Parfois, le vent sec et chaud déplace les pans de son long vêtement noir. Il est comme moi, le vent ; c’est un air sans cesse en mouvement, malade de désir. Il pleut ses rêves incandescents, il gémit à longueur de temps.
Le soir, dans ma chambre sombre et nue, je vois encore son regard digne et noir. Il me poursuit, je sais qu’il me veut comme une envie sans fin. Et je pense à demain… Je monte sur le toit plat et regarde le ciel. Il est un miroir qui reflète les fragments de ses yeux, des morceaux d’âme lumineux. Et je pense à demain… Je quitte les cieux, entre dans la salle d’eau, laisse couler sur ma peau l’eau lisse et claire, et un instant durant, je baisse les yeux et ferme les paupières. J’allonge mon corps mouillé sur le sol carrelé. Les dalles sont tièdes, et je demeure longtemps ainsi, jusqu’au creux de la nuit. Et je pense à demain… Demain, où nous irons nous perdre au fond de nos désirs inassouvis…
Aujourd’hui, j’ai glissé très vite dans ses doigts fins un petit bout de papier brun. D’un geste vif, précis. À peine un effleurement. Son être entier a tressailli en même temps que le mien. Instant fragile, suspendu entre ciel et terre. Une fusion éphémère. Elle sait à présent que je l’attends, que désormais rien d’autre que nous ne peut plus nous atteindre.
Encore une nuit jusqu’à demain… Dans le silence épais, nos âmes se parlent tandis que je me tais.
Encore une nuit à rêver de tes mains, de ta peau chaude que je n’ai jamais vue. Le vent fou fait claquer les volets, remplit de sable ma raison. Le vent fou est mon sémaphore géant, l’ultime rempart contre l’autre versant, celui où la folie n’est que fureur et bruit. Moi, je ne sais que demain… la caresse de nos mains, mon souffle chaud contre le tien.
Un article signée Solange Schneider pseudo Zalma écrivain, auteur de « Chemins étranges » et « Points de fuite »
12 commentaires
Il faut mettre de la crème solaire sur ses bras nus…je peux m’en occuper !
Tu es toujours prêt à rendre service, et mine de rien tu as lu l’extrait ^o^
il suffit parfois d’ un regard
Un regard peut changer une vie
Merci pour ce bel extrait…
avec plaisir
C’est un très bel extrait, j’adore les couleurs de la photo
Je trouve que la photo illustre parfaitement l’extrait
C’est vraiment très bien écrit, j’aime beaucoup
Merci
Je vais le lire , merci d’en parler !