Voici une nouvelle fantastique qui vous transportera jusqu’en Inde, ce pays fascinant, son atmosphère si… étrange. Je vous laisse en découvrir un extrait.
L’odeur
Extrait
Il y avait d’abord eu l’odeur. Des entêtants effluves d’épices qui flottaient dans l’air, jusqu’à l’écœurement. Elle avait alors rangé sa cuisine, ordonné ce qui devait l’être, avait jeté tous les flacons et les petits sachets de poudre jaune, rouge et ocre qu’ils avaient rapportés de leur voyage en Inde.
Ce pays l’avait fascinée autant que dégoûtée, la profusion des richesses côtoyant sans pudeur les pauvretés extrêmes. C’était là-bas pourtant qu’ils avaient passé leur voyage de noces, dans un hôtel grandiose qu’ils n’avaient pas payé bien cher, finalement.
Elsa en était revenue transformée, dans un état étrange parfois proche de l’hypnose. Comme imprégnée d’un trop-plein de couleurs et de lumières changeantes, de fragrances épicées et florales. Et puis les corps qu’on brûlait après la mort, les énormes bûchers, les flammes qui montaient tellement haut qu’on croyait presque y discerner l’ombre flamboyante des défunts… et cette odeur infecte de chair brûlée mêlée d’encens, qui l’obsédait.
***
Marc était retourné travailler dès leur retour, tandis qu’elle cherchait encore comment maîtriser sa vie, meubler l’appartement neuf qu’ils venaient tous deux d’acquérir. Elle aurait presque oublié l’Inde s’il ne lui en était resté une petite ombre qui grandissait dans ses entrailles.
Elle la percevait sans en être sûre, la berçait pourtant de chants doux, anciennes mélodies transmises de génération en génération. Devait-elle en parler à Marc, ou bien attendre encore un peu ?
Et pourquoi ne pas garder ce secret comme une crypte, éviter que chacun ne s’en mêle trop tôt, se lover sans raison dans la douce torpeur qui dès l’aube, envahissait ses jours, parfois un peu trop longs ?
Il fallait juste chasser l’odeur qui imprégnait encore les chambres, même si les épices de la cuisine avaient été jetées. Peut-être fallait-il aussi se débarrasser des sacs, des vêtements et de toutes les babioles qu’ils avaient rapportés d’Inde ?
Il lui fallut deux mois pour qu’elle se décide à consulter un médecin, une femme spécialisée en obstétrique. Dans la salle d’examen, Elsa s’allongea docilement sur la table réservée aux auscultations, ouvrant ses jambes, corps offert aux doigts graciles, corps offert à celui qui s’ancrait dans le sien. Le verdict fut sans surprise : elle était enceinte, mais on distinguait encore mal la forme précise de l’enfant à naître.
Elsa ne posa aucune question, juste sa main sur son ventre à peine arrondi, un léger sourire flottant sur ses lèvres. Elle imaginait qu’il serait un petit garçon brun, avec une peau sombre aux reflets dorés, comme celles qu’elle avait vues en Inde. Puisque c’était là-bas qu’il avait été conçu, pourquoi n’en aurait-il pas conservé quelques traces ?
L’automne connaissait des redoux, Elsa admirait les couleurs chatoyantes des arbres, ce feuillage qui explosait en mille teintes juste avant de mourir. Quel phénomène étrange, tout de même…
Les feuilles dorées craquaient sous son pas à peine alourdi, et malgré cette splendeur déployée, quelque chose commençait à l’incommoder : il y avait tant de rouges et ils étaient si vifs, incandescents, on aurait cru un incendie…
Oui, comme les incendies qui ravageaient les corps inertes dans ce pays dont le souvenir aurait dû la quitter peu à peu, au lieu d’être chaque jour plus prégnant.
Quand elle fermait les yeux, il lui semblait voir flotter d’immenses fleurs sur l’eau du Gange. Marc lui disait alors :
— Où es-tu encore en train de rêver, Elsa ?
Et puis il se levait, s’approchait d’elle, embrassait ses paupières closes. Au début, elle en était ravie. Mais à présent, l’odeur de Marc la gênait…
Une nouvelle signée Solange Schneider pseudo Zalma écrivain, auteur de « Chemins étranges » et « Points de fuite »
6 commentaires
Un pays de contrastes l’ Inde, même pour les odeurs !
et pour les couleurs
Zalma me laissent toujours une impression d’étrangeté… parfois inconfortable… mais captivante.
Intéressant ressenti
Un pays que j’aurais aimé visité il doit être envoûtant…Bisous je m’absente jusqu’à samedi.
Moi aussi