"L'ange de Noël", une nouvelle du recueil "Chemins étranges" signé Solange Schneider-Zalma. Il s'agit d'une nouvelle fantastique, et qui se passe, évidemment, à Noël, histoire de rester dans l'ambiance et dans la saison.

L’ange de Noël
Cela s’était passé l’an dernier, quelques mois avant Noël, par un jour d’été qui avait commencé de façon si ordinaire. J’avais senti des frémissements inhabituels, l’impression qu’il se produisait quelque chose à l’intérieur de moi. J’avais d’abord mis ça sur le compte du stress, mon travail nerveusement épuisant, au guichet de la petite gare de notre ville où les gens venaient sans cesse se plaindre, bondissaient sur la moindre contrariété pour étaler leur mécontentement.
Il fallait alors échanger leurs billets, répéter sans arrêt les mêmes renseignements, expliquer pour quelle raison le train avait encore eu du retard, dire que nous n’y pouvions rien s’il y avait eu un incident technique ou bien un accident. Et justement, ce mardi-là, il s’était produit un évènement tragique : un jeune enfant avait glissé, était tombé sous les rails du train qui l’avait broyé. Il était beau, si blond et si petit… si innocent.
L’accident avait eu lieu à quatorze heures trente-sept, et j’avais senti une secousse légère dans mon corps, comme un doux frémissement. C’était quelque chose d’infime, et je n’y aurais plus repensé si ça n’avait pas duré plusieurs mois… et il y avait cette étrange coïncidence avec ce drame…
J’étais rentrée chez moi, ce soir-là, comme d’habitude. Je percevais pourtant que quelque chose était différent, mais je ne parvenais pas à le nommer, et j’ignorais ce qu’il se passait réellement. Et puis, un peu plus tard, il y avait eu ce premier matin où je m’étais sentie nauséeuse. Ça avait duré plusieurs semaines, mais Pierre ne voyait rien.
Il continuait à déjeuner en lisant son journal, tandis que je savais : je savais que je portais « quelque chose » en moi, une petite âme. Et qu’elle était liée à moi autant que je l’étais à elle désormais. Que ma vie n’était plus comme avant, et que Pierre ne le saurait jamais, qu’il ne comprendrait pas.
La nuit, je faisais des rêves doux et sucrés, des rêves où des enfants blonds riaient à gorge déployée, leurs rires cristallins me suivaient des journées entières. Pierre me demandait parfois :
— Tu es avec moi, Rose ?
Et puis, la veille de Noël était arrivée. Nous avions bouclé nos bagages, fourré dans le coffre l’énorme bûche glacée, et avions pris la route.
Mon ventre s’était imperceptiblement arrondi, je crois que j’étais heureuse. Je me sentais légère, à l’abri des paroles tombant comme des pluies acides, malgré ma fatigue. Nous étions arrivés vers dix-neuf heures, avions déballé nos affaires, et tout se passait bien.
Je déposais les cadeaux sous l’arbre de Noël, ses grosses branches ployant sous les décorations multicolores, et ma belle-mère m’avait soudain regardée. Elle avait prononcé cette phrase, tandis que son œil gris tentait de percer mon âme :
— Et vous, alors ? Quand est-ce qu’il va finir par pointer le bout de son nez rose, le petit ? Ça fait tout de même trois ans que vous êtes mariés, maintenant !
Je n’avais pas répondu, avais senti une bile verte refluer dans ma gorge jusque dans ma bouche. Et je m’étais enfuie soudain, avais claqué la porte des toilettes, l’avais fermée à double tour. Dans le miroir, je voyais mon visage empourpré, déformé par une douleur que je ne pouvais m’expliquer.
Je savais que je devais garder le secret, ne jamais rien dire de cet ange qui dansait dans mon ventre. D’ailleurs, qui l’aurait compris ? Je me souviens être redescendue au salon, la famille était au complet, déjà attablée. Ma belle-mère avait alors dit :
— Hé bien, ce n’est pas trop tôt, Rose ! On t’attendait !
Les trois enfants de ma belle-sœur couraient en tous sens, et mes entrailles s’agitaient au rythme de leurs jeux, comme s’ils communiquaient. Ensuite, nous avions mangé l’éternel foie gras, et cet abat cuit dans sa graisse me répugnait.
Les autres mets aussi. La dinde, trop grosse et dorée au four répandait une odeur molle de chair animale. On ne voyait qu’elle, sur l’immense table dressée pour la fête. Elle n’avait plus de cou, elle m’effrayait, je ne voulais pas en goûter, ne serait-ce qu’un seul bout. Mon mari s’était énervé :
— Mais enfin… qu’est-ce qui t’arrive, Rose ? Tu n’as presque rien avalé, et ma mère a passé trois jours à préparer tout ça !
J’avais dit que je devais m’absenter, que je m’excusais. J’avais quelque chose à faire, et c’était important. J’étais sortie dans l’air glacial, mais je n’avais pas froid. J’expirais une petite buée blanche, de minuscules flocons tourbillonnaient dans l’air.
Et soudain, j’avais senti que « quelque chose » sortait de mon ventre, sans aucune douleur, comme une douce vapeur qui ressemblait à un ange. Un rire aussi fin que du cristal s’enroulait dans l’atmosphère, et tandis que la volute s’élevait dans le ciel, une immense gratitude emplissait mon corps. J’avais pensé que je venais d’accoucher d’un ange, que je l’avais probablement délivré de quelque chose, même si j’ignorais de quoi au juste…

Une nouvelle signée Solange Schneider pseudo Zalma écrivain, auteur de « Chemins étranges » et « Points de fuite »
12 commentaires
Frissonner , secousse légère dans le corps ? Ok j’ai compris !
Bon Mardi
Pat
Sourire
une histoire bien étrange mais qui me plait….
c’est un vrai régal
Une très jolie nouvelle, j’aime bien le style
Moi aussi
J’aime beaucoup. Bonnes fêtes
merci, bonnes fêtes
J’aime bien, elle est bien écrite et on a envie de suivre jusqu’à la fin
super
Toujours aussi étrange. Fantastique et poétique.
Oui c’est une plume affirmée.