Voici « La cruche », un extrait du recueil de nouvelles « Points de fuite » : cette nouvelle, c’est l’histoire d’un objet qui semble si ordinaire, si… innocent… Oui, un objet du quotidien, présent sur presque toutes les tables, un objet si simple et qui pourtant, peut insidieusement mener au pire des drames…
Je vous souhaite une excellente lecture !
Nouvelle « La cruche »
Je me souviens de ce détail… de cette cruche. Mary n’avait pas besoin de cette cruche. D’ailleurs, elle n’avait jamais eu besoin de ce type d’ustensiles qu’on trouve généralement dans n’importe quelle cuisine. Mary buvait son café dans des verres à vin et servait l’eau fraîche dans sa cafetière. Elle détestait s’encombrer d’objets inutiles, préférant le futile d’une toile aux reflets insondables, qu’elle regardait à peine mais qu’il lui fallait posséder, comme une extension de son âme : suspendue de travers, la toile accrochait la lumière. Au fond du couloir, sur le guéridon poussiéreux, un vase de Chine fêlé déroulait son histoire. Dans le grenier, une malle en bois sculpté dégorgeait ses secrets. Et lui, il lui avait offert cette cruche : un objet rond, utilitaire et dépourvu de sens. « Pour servir l’eau dans un récipient adapté » avait-il cru bon d’ajouter.
(…)
Ce jardin était une folie : un extraordinaire fouillis brillant et vert de plantes enchevêtrées, une luxuriance multicolore et sauvage, une sorte d’Eden perdu et oublié, retrouvé là. Il me semblait à la fois immortel et irréel. Il n’était pas aisé de s’y frayer un passage, mais je l’aimais.
Au bout du chemin non tracé de terre meuble et d’herbes folles, la maison de Mary s’enracinait, solide et fière : des pierres mal taillées et usées par le temps, une lourde porte en chêne que nous poussions en riant. Du moins avant…
Avant la cruche.
Cette cruche, je l’avais détestée comme on peut haïr un objet : froidement, comme lui. Mal planté dans un décor qu’il s’efforçait de rendre sien, de civiliser à son goût.
Cette cruche, d’une incroyable banalité, avait été sa première victoire et il s’en délectait. C’était minable et laid. Et Mary souriait… C’était tellement curieux, ce qu’elle pouvait bien lui trouver, derrière sa petite arrogance. Ce qu’elle ne voyait pas. Ce qui était certain, c’est qu’il aimait les choses. Il caressait parfois du bout des doigts l’inanimé, l’étain glacé des chandeliers, le cristal froid des vases.
Peu à peu, il avait rempli la maison de Mary de toutes sortes d’objets métalliques, de louches en inox, de couverts en argent, d’une huche à pain, d’un arrosoir. « Ce sera plus commode qu’une bouteille vide pour arroser tes plantes ». Et en un sens, c’était vrai. Mais pas pour Mary.
Pourtant, elle continuait de rire. Ses dents nacrées et ses yeux clairs luisaient. Le ciel d’été masquait ses tristesses à venir, la rendait sourde aux bruits : scie électrique fendant l’air chaud, et dans le soir, les oiseaux immobiles au fond du jardin dévasté. Je crois que Mary rêvait de nuages doux et tièdes, de pluies chaudes au goût sucré. Mary ne voyait pas… mais lui savait que je le soupçonnais…
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4 commentaires
il y en a un sacré paquet de cruches en France….d’ailleurs, ils en font un concours chaque année !
Pendant les élections ?
je dirais que chaque embryon est une être à part qui se développe avec déjà un caractère et un tempérament, et non pas juste un amas de cellule !
C’ est dire ensuite qu’il est difficile de transformer un adulte
C’est parfois compliqué