Parfois, au détour d’une conversation qui semble anodine, il arrive qu’on en apprenne un peu trop…
Alors, avant de boire votre tasse de thé anglais bien fumant, pour vous réchauffer en cet hiver glacé, tendez l’oreille mais méfiez-vous quand même des terribles confidences dont vous ne vous ne remettrez peut-être pas !
Et surtout : excellente lecture !

LES COLCHIQUES
Entre deux confinements, il y avait eu l’annonce : brutale comme peut l’être la mort d’un proche, chéri ou non, mais avec lequel on a pris l’habitude de partager les jours et les nuits, et les enfants aussi sous le même toit.
Un peu plus tard, la neige s’était mise à tomber, comme pour recouvrir le paysage et la vie d’un manteau blanc, absorbant tous les bruits, y compris ceux de l’enterrement, les pleurs et les gémissements.
Je n’avais pas pu m’y rendre mais j’avais pensé à eux : cette famille sans père à présent, sans époux, la place vide à la longue table en bois, l’épouse désormais veuve, et puis la vie qui reprendrait le dessus, forcément.
Quelques semaines plus tard, alors que les bourgeons perçaient, ornant les arbres de vert tendre, j’avais commencé à faire ces rêves curieux où je le voyais, lui, seul et inquiet, debout au milieu d’un vaste champ enneigé.
La neige est toujours belle quand elle scintille, et cette nuit-là, elle brillait d’un étrange éclat qui semblait m’appeler : « Souviens-toi… », disait-elle tel un vent gémissant à travers les branches d’arbres nus. Alors, je me suis souvenue, m’asseyant sur le bord de mon lit, et chassant le printemps naissant, je suis retournée en hiver…
La scène était là, sous mes yeux : au cours du repas où j’étais invitée, il avait eu ce tic que j’avais cru nerveux, fronçant trois fois le sourcil droit en direction de la manche du poignet de sa femme. D’un geste sec, elle avait alors tiré sur le tissu pour cacher ce qui ressemblait à une plaie, une sorte de large bleu violet, cerné de jaune.
J’avais pensé à ce poème d’Apollinaire, « Les colchiques », et à ce bleu, à ce pré, à ces fleurs et puis à ce poison si lent… Le repas s’était poursuivi ensuite, comme s’il ne s’était rien passé, mais je les avais vus : ces bleus et les cernes violâtres de mon amie, entourant ses yeux éteints.
Je savais bien que pour rien au monde, elle n’aurait osé en parler. Et puis, la vitrine était belle, la maison grande, l’ordre établi ainsi depuis tant d’années, alors, à quoi bon tout déranger ?
Il y eut l’automne, flamboyant, et j’avais cessé d’y penser. J’avais simplement remarqué que les yeux de Diana n’étaient plus cernés de bleu ni de violet, et qu’elle avait osé porter durant tout l’été, des robes multicolores et échancrées, aux manches courtes.
Un an plus tard, l’hiver revenant comme un fantôme blanc, je me rendis chez mon amie : le diplôme de l’aîné trônait dans le salon, sous verre et bien encadré, tandis qu’il ne restait aucune trace du défunt père et mari. Je n’avais plus fait aucun rêve, mais mon esprit cherchait quelque chose, un détail qui m’avait échappé la dernière fois, je le savais, tout en papotant et en buvant le thé anglais.
Diana et moi discutâmes un bon moment, et je savourais la seconde tranche de cake aux fruits confits, lorsque soudain, je la vis : posée sur la commode, juste à côté de l’urne funéraire que je savais vide, la photo de son mari percée de minuscules trous, à peine visibles. Les yeux, surtout, avaient été vidés, et le sourcil droit arraché…
Diana eut alors cette phrase tranquille : « Il le fallait… depuis, je vis en paix ».
Zalma-Solange Schneider

Un poème signé Solange Schneider pseudo Zalma écrivain, auteure de « Chemins étranges », « Points de fuite », et « Demain, tout ira bien ! » et « Ma vie en rouge et noir »
8 commentaires
ne jamais discuter avec un membre de la camora par exemple ….
C’est préférable
il y a des confidences dont on se passerait bien
aussi…
Bonne journée Bernie
merci
Excellente nouvelle , merci de ‘avoir partagée .
avec plaisir