La face cachée des États-Unis. Bernard «J.» Durand nous en offre un aperçu, dans ces mémoires sans fard. Un retour dans les sixties… glaçant.
Amère Amérique, « Si c’est un rêve, je le saurai »
« A Lincoln, ma petite notoriété d’activiste s’était localement construite via la publication de quelques articles au vitriol dans les colonnes du Daily Nebraskan, journal publié cinq jours par semaine par l’université. La rédaction me présentait désormais comme un contributeur régulier.
Il y avait également mes prises de parole, elles aussi régulières, à Hyde Park. Se référant au célèbre Speakers Corner du grand parc londonien, c’est ainsi que ses animateurs, pour la plupart étudiants dans le département de journalisme de l’université du Nebraska, avaient baptisé l’événement hebdomadaire qu’ils organisaient le jeudi, en fin d’après-midi, dans la grande salle polyvalente, la bal room, de la Student Union. »
Entre l’Amérique fantasmée et la réalité, 3 années fondatrices qui ont sonné le glas de la relation très particulière que l’auteur entretenait depuis l’enfance avec les U.S.A.
L’obtention d’une bourse d’étude, en 1965, permet à Bernard « J. » Durand de rejoindre l’université de Virginie. Sa rencontre avec le sénateur Robert Kennedy, auprès duquel il s’engage, fait vibrer ce rêve américain… Jusqu’à l’assassinat du candidat à la présidence le 5 juin 1968. Le château de cartes s’effondre.
Bernard «J.» Durand
Huitième des neuf enfants d’une famille bourgeoise toulousaine, fils d’un père polytechnicien, héros de la Grande Guerre, et d’une mère docteur es-sciences, la troisième femme en France à avoir obtenu ce grade universitaire, Bernard Durand a vécu une enfance et une adolescence heureuses pendant lesquelles il s’est construit un rêve américain que l’obtention, en 1965, d’une bourse d’études dans une université de Virginie, celle-là même qui, huit ans plus tôt, avait accueilli « l’étudiant étranger », le journaliste et écrivain Philippe Labro, a permis de réaliser.
Le contact avec l’Amérique réelle, sur un campus fréquenté à l’époque par des garçons pour la plupart issus de la bourgeoisie sudiste, fera très rapidement s’effondrer le château de cartes vers lequel il s’était embarqué deux mois plus tôt pleins d’illusions.
Parmi les nombreuses rencontres de personnalités remarquables, c’est celle du sénateur Robert Kennedy qui offrira une seconde chance à l’ambition, formulée à l’âge de huit ans : « Quand je serai grand je serai Américain ».
Après s’être engagé dans le mouvement contre la guerre du Vietnam, c’est dans la campagne présidentielle du frère de John Kennedy, dont il avait vécu la mort comme un traumatisme, qu’il s’engagera corps et âme. L’assassinat du candidat, le 6 juin 1968, sonnera le glas de la relation très particulière, que certains qualifieront d’amoureuse, voire de pathologique, qu’il entretenait avec les États-Unis d’Amérique.
De la rive droite de la Garonne à celle de la Shenandoah, et des Pyrénées aux Montagnes Bleues, puis aux premiers contreforts orientaux des Montagnes Rocheuses, on suivra pendant trois ans les pérégrinations de l’auteur dont les souvenirs n’ont rien d’hagiographiques.
Remontant aux années soixante du siècle dernier, beaucoup des faits répréhensibles, relatés sans complaisance dans ce récit aux allures de road-movie, bénéficient fort heureusement de la prescription.
Préface de Jean-Christophe Giesbert
C’est un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître. Il a bercé la jeunesse de ceux que les générations montantes appellent avec condescendance les ok boomers. Ces bataillons d’idéalistes, pour certains encore en culottes courtes et jupes plissées, qui, au cœur des années soixante, avançaient vers l’âge adulte le regard tourné vers l’Amérique. Fils d’un soldat américain échoué en France, j’étais de ceux-là. Sous notre toit, en Normandie, la politique était servie à tous les repas.
Quand, entre deux bouchées de poulet rôti arrosées de cidre fait maison, mon père avait réglé leur sort à de Gaulle et aux communistes qu’il réunissait dans la même détestation, la tablée cinglait vers les U.S.A. Un nom revenait toujours dans les longs monologues paternels, celui des Kennedy, John puis Robert. Né dans une famille conservatrice, réactionnaire et raciste, mon père était passé à gauche avec armes et bagages. Pour lui, les Kennedy incarnaient le rêve américain dans ce qu’il a de plus généreux. Il pardonnait aux deux frères d’être catholiques et fils d’un milliardaire véreux. Mon père voyait en eux les hérauts de la liberté, de la démocratie et de l’égalité des droits entre tous les citoyens américains, quelle que soit leur origine sociale et leur couleur de peau.
Chez mon père, ma mère, mon frère aîné Franz-Olivier et l’ensemble de la grande fratrie, Robert, plus encore que John, avait pris place parmi les grands hommes réunis dans le panthéon politique familial, aux côtés de Winston Churchill, Konrad Adenauer, Pierre Mendès-France et David Ben Gourion.
A nos yeux, ils personnifiaient ce que la démocratie pouvait offrir de promesses de justice et de liberté aux peuples du monde libre et à ceux qui aspiraient à le rejoindre. Les Kennedy s’imposaient comme des remparts humains, souriants et magnétiques, ce qui ne gâchait rien, face à la dictature soviétique. Cette pieuvre hideuse, tant honnie par mon père, qui aspirait à faire basculer la terre entière dans une nouvelle nuit sanglante, vingt ans après la chute du troisième Reich contre lequel mon père avait combattu. Aussi les assassinats de John, en 1963, puis de Robert, en 1968 ont-ils été vécus comme des drames dans notre famille.
Le petit garçon que j’étais alors a pleuré leur mort comme s’ils s’étaient agi d’oncles chéris pour leur sourire, leur prodigalité et leur héroïsme. Devenu grand, je n’ai cessé de chercher, sans jamais la trouver, l’étincelle des Kennedy, dans les présidents démocrates à la Maison Blanche. Ni Lyndon Johnson, ni Jimmy Carter, pas plus que Bill Clinton et Barack Obama n’ont su incarner durablement cet immense espoir que John Fitzgerald et Robert étaient parvenus à allumer dans le cœur et la conscience du peuple américain.
C’est mon amour pour ma deuxième patrie et la passion que j’éprouve pour son histoire, ancienne et récente, qui m’ont plongé avec appétit dans « Amère Amérique » de mon ami Bernard Durand, le plus yankee des Toulousains. Et, autant vous l’avouer, j’ai adoré ce récit porté par une écriture allègre et élégante. J’ai ri, souvent, senti la colère monter en moi en même temps que l’auteur, parfois, et ai aimé, toujours, ces scènes dépeignant avec talent cette Amérique en fusion. Habile à construire de ses mains un saloon dans son petit jardin du quartier des Minimes à Toulouse, l’homme l’est tout autant dans l’exercice si exigeant de l’écriture.
Ainsi a-t-il eu la brillante idée de jalonner son manuscrit de multiples références à des chefs d’œuvre de la culture littéraire et cinématographique des sixties qui a contribué à forger, et pour longtemps, l’identité américaine. Tous ceux qui partagent avec lui et moi une passion pour le meilleur de l’Amérique lui en rendront grâce !
L’ouvrage de Bernie, puisque c’est ainsi que ses amis l’appellent, m’en a appris bien plus sur cette Amérique tumultueuse des années soixante que ne l’aurait fait un pavé roboratif consacré aux soubresauts politiques et sociaux de cette époque qu’aurait commis un docte historien. Il m’a replongé au cœur du chaudron dans lequel s’affrontaient ceux qui avaient fait leur le combat des Noirs pour leurs droits civiques et ceux qui s’y opposaient, ceux qui manifestaient contre la guerre du Vietnam et ceux qui soutenaient les bombardements massifs sur Hanoi.
De campus en amourette, de balade en Dodge en haltes dans des fastfoods, de Washington DC au Nebraska, Bernard Durand fait revivre le quotidien de la jeunesse estudiantine à laquelle le « frenchie » s’est mêlé. Dans les coulisses de la campagne de Robert Kennedy à laquelle il a participé, l’auteur, restitue avec vitalité et alacrité les espoirs et les rêves de tous ceux qui, comme lui, pensaient un meilleur monde possible, ceux qui fredonnaient comme un mantra ces quelques mots de Bob Dylan « the times they are a changin’ ».
Aujourd’hui septuagénaires, nombre de ses compagnons d’alors sont devenus de placides retraités ventripotents, suppôts, pour certains, de ce diable de Trump. Bernie, lui est resté tel qu’il apparaît dans « Amère Amérique », convaincu qu’on a tous en nous quelque chose de Kennedy.
2 commentaires
America first, ça résume tout, du massacre des indiens, à la guerre en Ukraine via l’ Otan
tu as raison