Fleur de printemps
Le ciel s’illumine de rose. Ils sont arrivés hier, il faisait chaud, humide presque étouffant. Ce matin, l’air est plus supportable. Elle respire profondément, se dit que l’Asie lui tend les bras. Depuis le temps qu’elle patiente, après de longs mois de démarches, d’appels téléphoniques, d’e-mails, de rendez-vous, de papiers à remplir, de conditions à respecter.
Confiante, elle lève ses yeux clairs vers son mari. Main dans la main, ils pénètrent dans l’orphelinat. Ils vont enfin le voir. Ça fait si longtemps qu’elle attend ce moment…
Il est petit, dans son berceau de fortune. Il semble si vulnérable. Le cœur d’Elise bat un peu plus fort, elle veut le toucher, caresser ses cheveux fins et noirs, soyeux.
La femme qui les a guidés lui explique qu’elle ne peut pas, pas encore, pas avant d’avoir signé les papiers d’adoption. Elle semble pressée tout à coup.

Lui examine les documents, lit chaque ligne tandis qu’elle sourit, se dit que ce soir, ils repartiront à l’hôtel avec l’enfant dans leurs bras. Ils ont tout prévu, les minuscules vêtements, les couches, le lait maternisé… Cela ne devrait pas durer bien longtemps : si tout va bien, dans deux jours, ils seront rentrés en France.
Il s’immobilise soudain, pointe son doigt sur une ligne, prononce le mot : « diabète ». Il dit qu’ils ne peuvent pas. Elise pâlit, insiste. Qu’importe, ils pourront soigner l’enfant !
Lui dit que c’est impossible, il crie. Elle n’entend pas, ne comprend pas, demande pourquoi.
– Tu n’imagines pas sérieusement, Elise ? Les soins, les soucis quotidiens… on en trouvera un autre…
– Ça m’est égal, je le veux. Celui-là !
– Écoute, si déjà on a le choix, autant en profiter !
C’est lui qui obtient raison, ils quittent l’Asie le lendemain, les bras vides d’enfant. Le cœur d’Elise est vide aussi, comme son ventre, pense-t-elle… son ventre stérile. À moins d’un miracle…
***
Le miracle est arrivé, par une belle journée d’été. Elise en est sûre à présent, le médecin le lui a confirmé. Elle court, légère, la joie inonde son cœur, son corps. Bien sûr, il y a ces examens complémentaires qu’il faudra faire, une formalité, se dit-elle.
Les résultats de l’examen sont tombés, le visage du médecin est fermé, ses traits tirés. Il prononce le mot : « IVG », ou plutôt « IMG ». À cause de l’anomalie, le chromosome de trop…
Elise ne veut pas, ne peut pas, refuse de couper la vie. En elle, grandit l’enfant. Lui ne comprend pas, s’agite, s’impatiente. Il crie :
– Tu n’imagines pas sérieusement, Elise ? Les soins, les soucis quotidiens… on en fera un autre…
– Ça m’est égal, je le veux. Celui-là !
– Écoute, si déjà on a le choix, autant en profiter !
Ils rentrent chez eux, dans leur petite maison. Lui parle de raison, elle invoque les choix du cœur, il finit par hurler :
– Fais comme tu veux !
La porte claque tel un coup de fouet, le vent s’engouffre par la fenêtre restée ouverte. Elise grelotte, se lève, ferme les vitres et les volets.
Et puis, elle attend le printemps, l’air doux, la brise du soir, la rosée du matin… Lui ne reviendra pas, mais l’enfant arrivera, rose et beau, elle le sait. Elle l’a fait, son choix.
***
C’est un matin de printemps rose, elle longe les murs de l’hôpital, le long couloir, entre à nouveau dans la chambre et s’allonge. Il est prêt à sortir, elle le sait, le sent. Alors elle souffle jusqu’au bout, dernier effort : yeux bridés, tête énorme, disproportionnée, posée sur sa nuque trop épaisse, l’enfant sort de son ventre ouvert comme une plaie en forme de fleur.
Un peu plus tard, une voix souffle à son oreille :
– Vous pouvez le confier à l’adoption, si vous voulez… si vous ne pouvez pas vous en occuper… les soins, les soucis quotidiens… surtout si le père n’est pas là…
La voix ajoute encore :
– Vous savez, vous avez le choix… c’est comme vous voulez…
Elise serre l’enfant un peu plus fort entre ses bras. Elle répond qu’elle l’a fait, son choix. En français et en chinois. Elle l’appellera Chun Hua, qui signifie « Fleur de printemps ».

Une nouvelle signée Solange Schneider, pseudo. Zalma
6 commentaires
Un choix qu’il va être très difficile à assumer …
Soit elle est courageuse, soit elle ne se rend pas vraiment compte.
Ca va être dur.
» Ca y est, ma connexion est revenue hier soir !
Je te souhaite un bon week end, un peu frisquet, avec un ciel bien gris mais pas le coeur ☼ !
Gros bisoux ♥, contente de retrouver le chemin des blogs …
C’est fou comme une coupure d’internet peut nous contrarier.
On se sent abandonnés … «
pas simple…
Le problème c’ est que l’ enfant lui n’ est pas pris en compte , il est vrai qu’ on ne peut pas lui demander son avis
oui…
Une belle nouvelle de Solange
Bon Week end
Pat
merci pour elle!