Les yeux jaunes, une nouvelle fantastique signée Solange Schneider, pseudo. Zalma, inspirée du recueil « Chemins étranges ». À ce moment précis, je sais…
Les yeux jaunes
Depuis quelque temps, le bébé a changé : il n’est plus aussi doux et tendre qu’au jour de sa naissance, lorsque nous nous penchions tous deux au-dessus du berceau en osier, tendu d’un tissu rose et bleu. Nous avions choisi ces couleurs, Alex et moi, car nous ne savions pas s’il naîtrait une mignonne petite fille ou bien un joli garçon. Finalement, ce fut le bleu qui l’emporta.
Bien sûr, il y a eu du changement, le mois dernier. Et même si Alex n’a cessé de me répéter : « Tu n’es pas obligée de reprendre le travail, Coralie… si tu préfères rester avec le bébé, c’est peut-être mieux, tu ne trouves pas ? ». J’avais besoin de quitter l’atmosphère étouffante de la maison, les bavettes et les premiers petits pots, les couches à changer, l’odeur d’urine et de lait maternisé… Besoin aussi de retrouver l’ambiance du bureau, nos petites conversations entre collègues, quelque chose de plus léger.
Alors, nous avons fait ce qui était prévu : nous avons déposé le bébé chez Priscillia. Oh, pas plus de vingt heures par semaine, puisque mon emploi du temps est désormais aménagé pour que je puisse rester le plus longtemps possible avec notre fils.
Le premier soir, il a paru content de sa journée passée chez Priscillia, au milieu de son appartement un peu bizarre, décoré de plantes exotiques, colorées, étonnantes… Certaines fleurs ressemblaient à des bouches de velours rouge, prêtes à dévorer. Elles étaient placées en hauteur et je ne me souviens plus de leur nom, quelle importance, au fond ? Je me souviens que notre fils les fixait de façon étrange, elles semblaient presque l’hypnotiser… mais tout allait encore pour le mieux, au tout début, du moins…
Ce n’est que ces derniers jours que le bébé a changé : sa façon de boire est différente, il semble si goulu, et puis il dévore plus qu’il ne mange. Le médecin dit que c’est normal, qu’il a besoin de grandir et de se développer, mais moi, je sens bien que quelque chose est différent, anormal, presque inquiétant. On dit souvent que les mères ont une intuition que les autres ne possèdent pas, même pas les pères, et D.ieu sait si Alex est un bon père…
***
Je regarde notre fils ; ce soir, il fuit mon regard, mordillant un morceau de pain sec : sa bouche est si rouge, comme une fleur gonflée de sang velouté. De petites dents pointues sont apparues durant la nuit. Il n’a pas pleuré, c’est étonnant, car ses dents sont sorties en quelques heures : deux rangées de canines, elles ressemblent à deux minuscules scies.
Alex est encore au travail et la nuit est en train de tomber, une nuit de début d’été, ciel rose et mauve mélangés. Je lutte contre une sourde angoisse, l’impression que quelque chose pourrait se produire et que quoi qu’il arrive, je serai seule…
Tout à coup, le bébé se met à hurler, un cri si brusque et strident qu’il me fait sursauter. « Il a besoin d’être rassuré, prenez-le dans vos bras le plus souvent possible », m’a dit le pédiatre. Alors, je sors mon fils de la chaise haute où il paraît coincé, malheureux, affamé malgré tout le lait qu’il a bu, les légumes mixés et le pain qu’il a mangé.
Je le porte et le berce, entonne un chant doux… J’aperçois ses petites dents qui luisent dans la pénombre, deux rangées de canines pointues, dures, acérées. Et puis soudain, ses yeux me regardent avec un éclat froid, métallique, effrayant, et je vois que leur teinte a changé : ils sont devenus jaunes, avec deux minces fentes qui m’observent. À ce moment précis, je sais. Oui, je sais que ce n’est pas un regard humain, la panique m’envahit. Je saisis le téléphone, compose à toute allure le numéro d’Alex, mais il est déjà trop tard…
La petite bouche rouge se dilate et s’ouvre, les minuscules crocs s’enfoncent dans la chair de mon bras et je hurle de douleur, lâchant le téléphone qui se fracasse sur les dalles de la cuisine, tandis que les yeux continuent à me fixer, une lueur carnivore au fond des prunelles jaunes…
En une fulgurance, je pense à Priscillia, ses plantes étranges, écarlates et malsaines, des fleurs carnivores disséminées dans tout l’appartement… Et je sais qu’il est trop tard, le mal est fait : elles ont contaminé mon fils, j’en suis sûre à présent.
Le sang coule le long de mon bras, je veux crier, n’y parviens pas, veux poser le bébé loin de moi, mais il s’agrippe, ses forces sont phénoménales. Je sens que je faiblis, m’effondre au sol, près du téléphone cassé.
Nouvelle fantastique, inspirée du recueil « Chemins étranges ».
12 commentaires
C’est horrible, cette histoire !
Et pourtant … qui sait ???
» Bon week end, qui s’annonce bien gris et pluvieux.
Heureusement, il ne fait pas trop froid.
Ca sent la fin des vacances …
Gros bisoux ♥ «
va savoir qui sait …
j’aime beaucoup l’intensité de la rose sur cette photo
merci
et bien, il y a de quoi avoir la frousse !
tout à fait !
C’est le bébé de Priscilla qui a remplacé celui de Rosemary ?
Bon week end
Pat
Bonne question !
Petit amour deviendra grand pourvu que… maman lui donne sang toujours
oui…
Salut,
J’espère que tout va bien.
Le soleil est revenu hier après midi et ce matin le ciel est bleu.
J’espère que ça durera pour les fêtes de l’andouillette à Arras ce dimanche.
Bonne semaine
Merci, tout va bien.