C’est qui, au juste, mon paternel ? C’est du côté de ma mère qu’un truc a flanché ?… Parce que la vie n’attend pas… un nouvelle signée Solange Schneider pseudo Zalma, qui est également proposée au concours de Short-édition.
Parce que la vie n’attend pas…
À nouveau ces maux de tête lancinants, café serré posé sur mon bureau, juste à côté de l’énorme pile de dossiers anciens que je dois consulter. Et ces mots qui tournent dans ma tête : « qu’est-ce qui vous en empêche ? ». Avec l’impression que toute ma vie est en train de dérailler.
Tout ça à cause de ce fichu test : « origine irlandaise à 70% ». Moi qui ai toujours cru que j’étais à 100% italien, comme mes deux parents. De vrais ritals à la chevelure indomptable et qui parlent avec les mains, si vite qu’il leur faut répéter trois fois avant qu’on les comprenne. Enfin moi, ça va, j’ai l’habitude.
Mon prénom aussi est italien : Guido. Comme un guide. Un type qui aide les autres à franchir des ravins pleins de neige, un type qui montre le chemin perdu dans la poudreuse, la route que plus personne ne voit. Un guide, quoi. C’est mon boulot. Les gens viennent dans les Alpes durant la période de Noël et je les guide, mais seulement jusqu’au 22 décembre. Après, c’est Nicolas qui prend le relais, parce que Noël en Italie, c’est sacré. Même quand on le fête en France. Enfin, pour un Italien catholique, issu d’une lignée dont les portraits garnissent les murs de la maison familiale… oui, c’est un jour sacré.
Sauf que cette année, je ne sais plus. À cause du test. Et pourquoi je l’ai fait, pourquoi j’ai été aussi idiot… juste à cause d’un pari ! Une façon de payer ma dette de jeu à Nicolas, l’autre guide ; on avait picolé ce soir-là, et il m’a dit pour rigoler : « je suis sûr que si tu cherches bien, t’es pas un vrai rital… ». J’ai braillé : « bien sûr que si, pour qui tu te prends ? », jusqu’à la phrase stupide : « j’envoie le test génétique, comme ça, t’auras la preuve, et c’est toi qui me devras une liasse de mille, espèce de guignol ! ».
J’ai prélevé un peu de salive, ai placé l’échantillon dans l’enveloppe et envoyé le test. Et puis voilà, ces maudits résultats : « origine irlandaise à 70% », et j’ai tout à coup l’impression d’être un type qui a toujours cru être un homme et à qui on annonce brutalement qu’il y a eu un léger plantage, un mélange avec un extra-terrestre ou je ne sais pas quoi. Ouais, on m’aurait dit : « origine extra-terrestre à 70% », ça m’aurait fait le même effet ! Non que j’aie quelque chose contre les Irlandais, loin de là ! C’est simplement que je ne m’y retrouve pas. Ça ne peut pas être moi, c’est tout.
Alors j’ai récupéré tout ce que j’ai pu sur ma famille, des documents en pagaille, en ai fait des photocopies « à l’ancienne », pour pouvoir consulter tout ça à mon aise. Avant Noël. Parce que je me vois mal arriver tout sourire, des cadeaux pleins les bras en lançant à la cantonade « Joyeux Noël ! » alors que j’ai un doute, un sérieux doute.
C’est qui, au juste, mon paternel ? C’est du côté de ma mère qu’un truc a flanché ? Est-ce qu’ils m’ont adopté ? « Un couple d’Italiens stériles a adopté un petit Irlandais abandonné », ça ferait un joli titre dans le journal, pour Noël. Ma date de naissance, en plus.
J’ai l’impression de devenir fou, renverse mon café d’un geste brusque, me demande si je vais aller les voir, ce Noël, le crâne bourré de doutes. « Qu’est-ce qui vous en empêche ? », a murmuré la voix du psychiatre que je consulte depuis un an, depuis que ma femme m’a lâché d’un coup, d’un seul. Dépression. Psychiatre. « Parlez, mettez des mots sur votre souffrance », qu’il m’a dit. Alors j’ai raconté. J’ai dit qu’elle m’humiliait mais que je restais comme un con. Jusqu’à ce qu’elle foute le camp avec mon meilleur pote. Voilà.
Et maintenant ça : cette histoire d’origines. À n’en même plus savoir ce que je vais faire… Passer Noël comme si de rien n’était, entouré de mes parents, mes frères et sœurs, peut-être tous faux, au fond ? « Qu’est-ce qui vous en empêche ? », je pense à cette phrase sans arrêt, en regardant la flaque brune du café renversé s’élargir sur la moquette grise du bureau… et cette odeur amère, c’est l’odeur qui traverse mes jours et mes nuits, depuis trop longtemps, depuis ce divorce pourri, et même déjà avant…
Et puis soudain, j’entends une voix qui hurle dans le vent, traverse des mètres de neige épaisse, un blanc magnifique dans lequel je suis en train de m’engourdir et je me sens partir… J’ai sept ans et je n’ai plus froid, il fait si bon tout à coup, presque chaud, j’ai l’impression de voir un sapin de Noël qui luit doucement, me tend ses bras vers la douceur bienfaisante. Mais non, c’est la main puissante de mon père, il crie : « Il est vivant ! Il est là ! ».
Des sanglots secouent son corps, le mien aussi et il me sort de ma torpeur, me glisse hors de la neige immaculée où je trouvais refuge, un peu plus tard elle aurait été mon tombeau, alors oui, qu’est-ce qui m’empêche d’aller voir ma mère et mon père, de passer Noël à leurs côtés, qu’est-ce qui m’en empêche ? Qu’ils soient Italiens tous les deux ou qu’ils m’aient adopté, je sais ce que je leur dois…
Alors, je ramasse le paquet de documents tombé à terre en même temps que le café, range ces feuilles pour l’instant inutiles au fond du dernier tiroir, me dirige vers la chambre, ouvre la valise et y glisse vêtements chauds et cadeaux fous. Parce que la vie n’attend pas… et surtout pas l’avion qui me déposera à temps, chez mes parents, pour fêter Noël.
Cette nouvelle est aussi un petit clin d’œil à un lecteur, qui avait demandé si j’avais des origines italiennes…
4 commentaires
il vaut mieux parfois rester dans l’ ignorance
parfois…
Elle est bonne Zelma, la chute est toujours où on ne l’attend pas !
oui, j’adore !