Et son regard s’obscurcit soudain, balayant le visage de Sophie, puis celui de Pierre… « Coup de foudre » une nouvelle signée Solange Schneider pseudo Zalma.
Coup de foudre
Nous partîmes à sept… Le jour se levait péniblement sur la campagne déserte, un soleil pâle, presque malade comme un hiver sans fin… Oui, nous partîmes à sept, ce matin-là. Une idée de Claire, obsédante ; une idée têtue comme le froid qui n’avait pas quitté la plaine depuis deux mois : une randonnée, parce que c’était ce que nous faisions autrefois, lorsque l’hiver s’abattait sur nous et nos maisons, une randonnée dans ce paysage gelé.
J’avais dit à Claire que c’était une folie, que les hivers étaient devenus si rigoureux que nous aurions mieux fait de demeurer près du feu, chaudement installés sous nos couvertures, au lieu d’aller nous enfermer dans cette nature glaciale, hostile, presque dangereuse.
Mais elle n’avait pas voulu renoncer, arguant que la météo était favorable, et que nous pourrions le regretter plus tard si nous ne le faisions pas maintenant, une dernière fois. Pierre allait nous quitter, nous le savions depuis longtemps. Il s’installerait si loin, soignerait tant de plaies et de chagrins, si loin de nous qu’il ne reviendrait pas. Jamais. Et cela, nous le savions tous.
Alors nous partîmes avec notre matériel, nos rêves et nos espoirs qui s’enfuyaient pourtant à mesure que les années passaient : une étrangeté qui ressemblait à la marche du monde et de la vie. Lorsque nous arrivâmes au Pic de la Glacière, j’entendis la voix de Claire. Elle hurlait :
— Encore un effort ! Nous y sommes presque…
— Il ne faut pas crier, Claire ! C’est dangereux !
— Rien n’est dangereux, Pierre… tu devrais le savoir mieux que moi !
Soudain, il y eut un éclair, une lumière intense et brève qui nous surprit tous, sauf Claire. Elle ajouta, à l’adresse de Pierre : « Tu vois, c’était comme un coup de foudre… ». Et son regard s’obscurcit soudain, balayant le visage de Sophie, puis celui de Pierre. J’observais cette scène, presque incrédule : je me doutais depuis longtemps qu’il se tramait quelque chose entre Claire et Pierre, à l’insu de Sophie.
Nous nous en doutions tous, à vrai dire, à l’exception de Sophie, l’épouse attentionnée, fidèle et si crédule… Nous nous en doutions tous et nous n’avions rien dit, supposant naïvement que le départ de Pierre mettrait un terme à sa liaison avec Claire, si liaison il y avait.
Max et Pierre ne disaient rien. Je pris soudain la parole, avec une idée fixe en tête : calmer le jeu.
— Nous allons tous nous reposer. Nous allons faire une halte, ici-même, poser nos sacs et nous apaiser. Tous, et toi aussi, Claire.
Claire me fixa d’une manière curieuse : il y avait quelque chose d’indicible dans ses yeux, quelque chose que je ne reconnaissais pas, quelque chose qui m’effrayait sans que je sache au juste pourquoi. Oserais-je dire qu’elle semblait étrange, presque possédée ? Était-ce le manque d’oxygène, dû à l’altitude, qui me donnait l’impression d’un brouillard épais nous enveloppant soudain ? L’impression que le paysage immaculé basculait, que l’horizon s’effritait ? Oui, une sensation curieuse, comme si nous nous étions perdus, incapables désormais de retrouver notre chemin… Mais quel chemin devions-nous prendre, au juste ?
Alors, nous nous assîmes, tant bien que mal, encombrés de notre matériel trop lourd. Et le silence s’installa, à peine interrompu par nos respirations saccadées. Je sentais que je n’avais brusquement plus la force de continuer, poursuivre notre route ou rebrousser chemin, que ça me devenait indifférent.
Nous étions là, assis dans la neige gelée : cinq personnes et deux chiens, sept au total mais je me sentais seul soudain, si seul, presque étranger à ce qui m’entourait. J’avais tant espéré que Claire me voie, au lieu de Pierre… Et qu’est-ce qu’elle pouvait bien lui trouver ?
Max aussi se taisait. Que pouvait-il ajouter ? Balayer un drame comme on ôte la neige qui obstrue le pas d’une porte ?
Au bout d’un long moment, Pierre proposa de rentrer, et se leva. C’est alors que les chiens se mirent à aboyer, une sorte de long hurlement, de plus en plus ténu, puis un gémissement presque désespéré et qui semblait ne plus finir. Claire dit :
— Les chiens le savent…
— Que veux-tu que les chiens sachent, Claire ? Est-ce que tu délires ?
— Non, Pierre. Eux le savent… ils savent que nous ne rentrerons pas…
— Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Bien sûr que nous allons rentrer… Allez, viens, Sophie ! Nous rentrons !
Sophie se leva en même temps que le vent, un vent violent qui déplaçait des paquets de neige folle, et je levai les yeux : je vis alors un ciel obscurci et pourtant blanc, teinté de rafales enragées et enneigées, une folie dont nous ne sortirions pas vivants, je le compris alors.
Sophie se mit à hurler :
— Une tempête de neige ! Tu avais dit que la météo était bonne, Claire… tu l’avais dit !
— Oui, Sophie… Une tempête de neige… Tu vois, c’est aussi violent qu’un coup de foudre, et on peut en mourir…
7 commentaires
c’ est vrai qu’un coup de foudre peut être violent
Un vrai coup de tonnerre.
Ca fait penser à un suicide collectif mais organisé par une seule personne ! Brrrr
Pas bon pour le moral, ce genre d’histoire …
Bon samedi avec des bisoux, cher bernie.
Une histoire bien écrite qui fait réfléchir.
Partir à 7 ? il y a une qui fait un double alors ? ….bon ok je sors
@+ Pat
Pat …
Biker : il y a cinq personnes et deux chiens, donc sept au total ;D !!
Dom : oui, l’histoire précédente, « Retour à l’emploi », était plus mignonne, je vous l’accorde volontiers… ;D