Les magasins ont préparé leurs vitrines pour la fête des amoureux. "Un jour bleu" une nouvelle spéciale Saint Valentin signée Solange Schneider pseudo Zalma
Un jour bleu
C’est un jour triste et froid. Un jour gris, jour de pluie et de grêle mêlées.
Je suis partie vite ce matin. Ne pas le regarder dormir d’un mauvais sommeil trop léger. Partir vite pour ne pas le voir, tout à l’heure, jeter ses vêtements dans sa grande valise anthracite, non pas pour un voyage d’affaires ou des vacances, bien sûr que non. Ce serait un beau jour d’été s’il en était ainsi… oui, ce serait un jour comme avant.
Avant nos querelles incessantes, avant nos cris et nos reproches. Avant notre folie conjugale.
Et pourquoi ai-je hurlé tellement fort, hier soir ?
Pourquoi ai-je jeté ces mots à son visage : « Tu n’es même pas fichu de garder un travail plus de six mois ! ». Comme s’il y pouvait quelque chose de ces licenciements intempestifs.
Le contexte social rouvre les plaies, les unes après les autres : le chômage de mon père et l’alcoolisme du sien. Croire et rêver que demain sera un jour meilleur, et ne jamais voir le soleil se lever pour éclaircir le ciel.
Je marche vite, souffle des petits ronds de buée dans l’air glacé. Autour de moi, des énormes cœurs rouges et roses… Les magasins ont préparé leurs vitrines pour « la fête des amoureux ».
C’est quoi, être amoureux ?
C’est croire en l’autre plus que tout, n’en voir que le meilleur et l’aimer plus que soi ? C’est être comme Achille et moi, avant… ?
« Achille, c’est un prénom peu commun ! » avais-je murmuré le jour où nous nous étions rencontrés, devant ce manège ancien qui tourne sans cesse sur lui-même, portant, sur le dos des chevaux en bois peint, des enfants lumineux. Mon boulot, ce jour-là, c’était de distribuer des prospectus publicitaires, pas de parler avec les clients potentiels. Encore moins d’aller dîner le soir avec l’un d’eux, Chez Aldo, à la lueur de deux chandelles bleues…
Je pousse la porte du bureau, secoue mon manteau et la neige gelée qui s’accroche à sa laine. Je secoue mes pensées tristes aussi, me dis que j’ai désormais « un bon travail ». Au chaud. Même si Achille va perdre le sien bientôt.
Ne pas penser à Achille, il prépare sa valise, je le sais. Il m’a dit hier soir : « C’est mieux de se quitter, Carole… c’est mieux ». J’ai répondu : « Fais ce que tu veux ! » et suis allée dormir dans le salon, sur le canapé gris et froid. Comme le temps, comme la vie.
Non, ne pas penser que la vie est grise et froide, ne pas imaginer Achille en train de refermer sa valise anthracite, passer sa belle main dans ses cheveux noirs et bouclés, regarder une dernière fois le salon où nous avons tout fait, je crois : dîner, nous embrasser, regarder la télé, faire les enfants que nous n’avons pas eus mais que nous aurions un jour, nous en étions tellement sûrs…
Pourquoi ai-je frappé aussi fort, qu’est-ce qui m’a pris ?
Isabelle m’apporte un café, me demande : « Ça va, Carole ? Tu es toute pâle, tu es sûre que ça va… ? ».
Je ne veux pas dire à Isabelle que j’ai frappé Achille à son point le plus fort et le plus faible, que j’ai touché son talon. Oui, son talon. Et qu’il va me quitter. Je ne veux pas…
Alors je réponds : « Je t’assure que ça va, juste un peu fatiguée », et je demande le dossier Demartin, il va m’appeler cet après-midi à cause de ce litige avec son locataire. Oui, le dossier Demartin, c’est important, et ne pas penser à Achille. Je pourrai pleurer seule, ce soir, dans l’appartement vide.
***
Il fait nuit sans cesse… Il fait nuit à dix-huit heures vingt et je tourne la clé dans la serrure. Pas un bruit, je le savais. L’appartement est vide et sombre. Je sens mes joues mouillées, pose mon sac dans l’entrée, me dirige à tâtons vers le canapé, m’y jette et pleure de toutes mes forces.
Il est tard quand je m’éveille d’un sommeil étrange, presque un sommeil d’enfant après un immense chagrin. Mon doigt presse lentement le bouton de la lampe halogène et la lumière inonde la pièce : son tapis beige et moelleux, les tableaux accrochés aux murs, la table basse et lisse, rien n’a bougé. Sauf sur la table haute : s’y trouve un vase énorme, rempli de roses si rouges qu’elles semblent éclater d’allégresse. Pourtant, aucune présence d’Achille…
Je me lève et saisis la petite enveloppe posée entre les fleurs, l’ouvre avec délicatesse et lis ces mots écrits à l’encre bleue : « S’aimer, c’est aussi savoir se réconcilier… ». Une seconde carte apparaît, toute colorée ; j’y lis au dos : « J’ai réservé Chez Aldo à vingt heures ».
Ma montre indique vingt heures quinze, je cours dans l’entrée, saisis mon manteau, enfile mes chaussures… Il n’est pas encore trop tard : dans quelques minutes, nous dînerons à la lueur des bougies bleues et des cœurs roses qui décorent notre pizzéria favorite.
J’ai envie de danser, de rire ma joie aux éclats. Et j’ai chaud soudain, de ce jour gris et noir devenu si bleu, ce jour d’espoir infini…
20 commentaires
il faut donc aussi savoir pardonner
C’est souvent le plus difficile
Il est toujours bon de réfléchir avant de prononcer les mots qui tuent …
Une histoire pleine d’espoir, pourvu qu’il ait attendu.
Bonne journée et bonne fête … ou pas !
Bisoux, cher bernie.
oui…
Bravo !
Bravo Zalma ! Vive l’amour !
Re-bravo ! Re-vive l’Aaaamour !
Merci pour Solange
magnifique et j’ai retenu une phrase qui disait, « on peut se fâcher, mais ne jamais le rester » bonne St Valentin
oui j’aime beaucoup aussi
Belle histoire de la -Saint-Valentin, qui sort du cliché habituel!
Solange sait sortir des sentiers battus.
Je suis sentimentale, j’aime bien la chute qui donne le sourire.
moi aussi !
Bonjour
L’amour peut être magnifique…ou un vrai calvaire!
Bisous
« je t’aime comme tu es »… ou comme tu hais ?
Très belle nouvelle et qui finit bien en principe car elle laisse une porte d’espoir !
c’est tout à fait cela.
Oh, je suis très contente de ces belles réactions !
Un grand merci !!!
Merci à toi de nous offrir tes jolis textes