Lundi bleu, jour noir…
Troisième partie :
Ça cogne tellement fort dans sa poitrine, elle a l’impression que ça va exploser : vingt années de pleurs et d’espoirs contenus, retenus à en pleurer chaque soir dans son lit muet, les draps froids et froissés de larmes. Oui, vingt ans de souvenirs caressés en sanglotant, mais peut-elle le lui avouer ?
Elle a si peur qu’il raccroche, la laisse à nouveau seule dans son brouillard de larmes salées. Alors, elle murmure à nouveau :
- C’est Clarisse, Georges !
La voix semble venir de loin, mais elle l’entend quand même :
- Vous devez faire erreur, madame…
Mercredi :
Depuis hier, Clarisse a l’impression d’être folle. Comment a-t-elle pu se tromper à ce point-là, être persuadée qu’il s’agissait de Georges ?
Est-ce le confinement qui la folle ? Cette phrase répétée à longueur de temps : « Le virus mute, il est dangereux. Restez chez vous ! »
Elle ne voyait déjà pas grand monde avant, mais là, c’est pire. L’association « Portez-vous bien » dont elle est membre depuis deux ans, vient de fermer ses portes pour une durée indéterminée. Les réunions hebdomadaires permettaient d’échanger des idées pour se porter bien, de parler de recettes de cuisine, de cours de yoga, du dernier livre lu…
Elvire, qui dirige l’association, a pris de ses nouvelles, en début de semaine, mais Clarisse n’oserait, pour rien au monde, lui raconter ce qu’il lui arrive avec Georges. Ou plutôt, avec cet homme qui l’a appelée, qu’elle a rappelé et qui n’est pas Georges. Mais un inconnu. Juste un inconnu qui s’est trompé de numéro.
Un inconnu qui est entré dans sa vie par effraction, sans se douter une seule seconde de la tempête qu’il allait déclencher. Un inconnu qui dort sans doute paisiblement, tandis qu’elle cherche désormais le sommeil toutes les nuits. Sans le trouver.
Jeudi :
Elle voudrait rappeler, mais pour dire quoi ? Dire qu’elle est désolée, après tout, pourquoi pas ? Elle pourrait rappeler et s’excuser.
Clarisse pense à ça, en se savonnant sous la douche. En palpant sa chair un peu trop molle mais pas encore tout à fait flétrie. Qui sait ?
Il faudrait qu’elle arrange ses cheveux, bien sûr, même si elle ne peut pas camoufler ses racines grises, mais au moins se coiffer pour qu’on ne les voie pas trop. Et puis se maquiller un peu, juste du rose sur ses joues, un soupçon de rouge à lèvres corail, un trait d’ombre à paupière. On lui a souvent dit qu’elle est « une jolie femme qui ne fait pas son âge », alors pourquoi pas ? Si elle décidait d’oublier Georges, une bonne fois pour toutes ?
Évidemment, ils ne pourraient pas se rencontrer avant la fin du confinement, à moins de se donner rendez-vous devant l’épicerie, en bas de chez elle. Mais quel intérêt de se rencontrer si c’est pour laisser deux mètres de distance entre eux ?
SEMAINE 5 :
Lundi :
14 heures :
Finalement, elle n’a pas rappelé, n’a pas osé.
Clarisse patiente dans la file, relit la liste des ingrédients qu’elle doit acheter en une seule fois, tâte la poche de son imperméable, vérifie que s’y trouve bien son « attestation de déplacement dérogatoire », dûment complétée, ainsi que sa pièce d’identité. Elle ne voudrait pas devoir payer 135 euros d’amende, ainsi qu’ils l’ont montré à la télé, ce week-end.
Elle entend tousser, sursaute : c’est la femme âgée qui patiente devant elle. Clarisse espère qu’elle n’a pas attrapé ce virus épouvantable, qui conduit à la mort en quelques jours. Elle regrette presque d’être allée faire ses courses aujourd’hui, mais le frigidaire était vide, les placards aussi, à part un reste de farine, du sucre, et trois boîtes de haricots verts.
15 heures :
Il a fallu patienter dehors, et encore patienter parce qu’on ne peut plus se servir soi-même à présent. Pour des raisons d’hygiène. Clarisse a donc dû énumérer la longue liste des ingrédients qui lui sont nécessaires, avant de pouvoir enfin voir son cabas rempli, et passer à la caisse.
Au moment où elle sort sa carte bancaire, la sonnerie du téléphone retentit, tel un cri strident. Un appel qui vient rompre sa solitude et les jours qui se suivent, invariablement gris, collés les uns aux autres.
Clarisse paye à toute allure, quitte l’épicerie et sort le portable de sa poche, immobile sur le trottoir, la respiration presque coupée quand elle voit le nom qui s’affiche : « Georges ??? ».
Presque incrédule, elle lit : « Votre correspondant a laissé un message vocal ».
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6 commentaires
et bien moi, à partir de lundi, je reste confiné encore pendant 4 jours…. J’ai engie qui vient me mettre la pompe à chaleur à la place de la chaudière à mazout…
tu joues les prolongations ? Moi aussi ^^
Bien trouvé pour nous laisser sur notre envie de savoir !
Bon week end !
Le froid revient en même temps que le droit de sortir …
Ca évitera d’avoir envie d’aller à la plage en enfreignant la loi des 100 km.
Gros bisoux, cher bernie.
la suite samedi prochain
comme quoi dialoguer est indispensable
totalement