L’erreur
Extrait de la nouvelle « L’erreur », du recueil de nouvelles Points de fuite, de l’auteure Solange Schneider.
Extrait
Il porte un pull rouge, voyant. Je l’ai aperçu avant qu’il n’entre dans la boutique : les cheveux clairsemés, le front dégarni, la quarantaine bien entamée. Il a marché trop vite, probablement couru ; ses joues sont rouges, son souffle court.
Il tient une boîte de conserve dans sa main droite et s’adresse à l’employé, dit qu’elle est périmée ; il l’a achetée hier. L’employé se souvient de lui, et même très bien : il le connaît parce qu’il vient ici tous les jours. L’homme pose la boîte sur le comptoir, parle de plus en plus fort, de plus en plus vite, de malhonnêteté et de scandale. Il crie à présent : ce n’est pas la première fois qu’il se fait avoir et ne reviendra plus, mais d’abord on doit le rembourser. Il n’est pas riche, n’a pas de commerce, lui, n’en a pas les moyens. Il n’a rien… N’a plus rien.
Je l’imagine aisément, assis seul dans sa cuisine : une table en formica, deux chaises, un buffet en mauvais état. Un chien ? Même pas. Juste un bruit de fond, le téléviseur sans cesse allumé pour combler l’espace vacant, des images et des sons qu’il ne voit ni n’entend, un simple bourdonnement à peine rassurant. Autour de lui, des murs gris, un peu sales, une étagère mal clouée, le cendrier plein, la vaisselle dispersée, des restes de café séché au fond des tasses. Et l’ennui des jours trop longs et des nuits sans sommeil jusqu’à la lumière opaque des matins vides.
Il commence à vociférer, frappe le comptoir avec la boîte. Les jointures de ses doigts sont blanches, une vraie rage l’anime. Il se met à hurler : ne comprend pas pourquoi ça lui arrive à lui. Toujours à lui. Il ne mérite pas ça, veut que l’employé réponde, s’excuse au moins.
J’ai déjà vu cet homme, j’en suis certaine. Quelque chose dans ses gestes, son regard, son débit précipité m’est familier. Je fouille ma mémoire, n’y trouve rien.
L’employé ne s’excuse pas, ouvre le tiroir de la caisse et pose la monnaie sur le comptoir. L’homme s’en empare brusquement et sort en claquant les battants de la porte.
Par curiosité, je décide de le suivre…
Une nouvelle signée Solange Schneider pseudo Zalma écrivain, auteur de « Chemins étranges » et « Points de fuite »
9 commentaires
difficile de constater qu’une boite de conserve est périmée !
sans l’ouvrir, c’est compliqué.
On ne le saura pas, Tiniak, car la nouvelle, même entière, transportera le lecteur vers tout à fait autre chose, finalement…
Je verrai s’il est possible de relayer un autre extrait de cette même nouvelle, sans tout dévoiler… peut-être mardi prochain ? 😉
A suivre
Si, Trublion, il y a une « DLC »…
Mais au-delà de ça, en principe, ce que montre le début de ce texte, c’est le sentiment du personnage, extrême, disproportionné… il se sent victime de quelque chose, réclame justice…
Bon, c’est une nouvelle qu’il faudrait bien sûr, lire en entier pour en saisir tous les enjeux, et il va de soi que la boîte de conserve n’est qu’un prétexte, que cela aurait pu être autre chose… n’importe quoi d’autre !
La boîte de conserve n’est pas importante, au fond, dans cette histoire…
Hé, hé ! …sauf à se demander ce qu’elle conserve…ou pas !
Excellente remarque
J’applaudis ici vos talents de médiateur, Bernie. Relayer ceux de Miss Schneider, c’est faire preuve d’un profond intérêt pour la diffusion de la #culture… dont les livres, heureusement, parviennent à combler un peu la cruelle frustration qui s’impose à nous, ces temps-ci ! MERCI 😉
David alias tiniak
Merci !