Écrivain toulousain d’origine italienne, hispaniste mais aussi polyglotte, Mark Rosaleny sort son premier roman, un thriller sans concession sur une période parfois oubliée de l’histoire de l’Espagne : les années de la transition. Un récit qui en profite pour faire voler en éclats certains mythes.
Tuez comme il vous plaira
Tuez comme il vous plaira, un thriller historique de Mark Rosaleny qui fait parler de lui, publié chez Under-Estelas Éditions en version numérique
Un roman mosaïque
L’histoire commence en 1977, peu de temps après la mort de Franco, et se termine en 1982 avec la victoire du Parti socialiste espagnol (le PSOE).
Deux voix narratives entrelacées et une foule de personnages en marge de l’histoire, mais ayant pesé lourd sur celle d’une Espagne marquée par les années de plomb. Un balancier permanent entre une famille populaire de Valence et des terroristes de tout bord à Madrid, une capitale saturée d’attentats perpétrés par des groupuscules extrémistes dont le seul objectif réel consiste à se déclarer en guerre contre la démocratie.
L’histoire dans l’Histoire semble constituée de morceaux épars, dispersés presque par hasard, mais soucieuse de ne jamais abandonner le lecteur. Le travail de recherche historique est colossal. Les extraits de journaux, de documents puisés dans les archives et même des rapports de la CIA vérifiables donnent un éclairage salutaire avant le début de chaque grand chapitre annonçant le pire.
Un détail : l’écriture est sans filtre, rédigée par une vraie plume, quelque peu nerveuse, mais toujours fluide. Si on en croit les commentaires des lecteurs récents, l’humour du genre corrosif oscille entre Tarantino et Javier Cercas (écrivain espagnol).
Des mythes qui volent en éclats
Celui d’une transition démocratique pacifique là où elle a été trop souvent sanglante (une victime du terrorisme toutes les 60 heures entre 1979 et 1981 !). Un coup d’État de Tejero dont le roi salvateur Juan Carlos, aujourd’hui en exil, était en fait derrière les putschistes.
Une crise sanitaire (l’huile de colza frelatée) aux origines encore obscures. Des terroristes mafieux infiltrés, téléguidés par la police et même financés par le PSOE de Felipe González ! Dans « un passé qui ne passe pas », pour reprendre le slogan énoncé par l’auteur sur une vidéo promotionnelle du roman particulièrement réussie (visible sur Youtube), nous sommes témoins, souvent voyeurs, d’une contre-histoire semée de cadavres et de désillusions.
Une histoire qui fait parfois écho aux temps troubles que nous vivons (nostalgiques de régimes autoritaires, terrorisme, séparatisme et idéologies meurtrières). Un passé dont il vaut mieux retenir la leçon afin d’en empêcher le retour.
On ne peut que regretter l’absence pour l’instant d’une version papier du roman, en raison notamment de la conjoncture. Il convient de préciser que le numérique est l’outil par lequel beaucoup de petites maisons d’édition tentent de ne pas sombrer, comme Under marque déposée des éditions Estelas, basée à Carcassonne. Il en émane par ailleurs des pépites étonnantes dont on ne peut que se réjouir.
Estelas Éditions
Extrait
« Je vais vous raconter une histoire. Autant vous prévenir, elle finit mal. Elle nous parle d’une époque où la société espagnole, débarrassée à jamais d'un dictateur psychopathe, caresse enfin l’espoir de retrouver un avenir démocratique. Beaucoup en ont fait une période de référence, un modèle de transition. Un festin pour les politologues, diront certains. Bon appétit.
Le problème c’est que chacune des étapes de son récit est tapissée de cadavres. Des années bordéliques durant lesquelles on promeut plein de héros et où l’on promet un max de bonheur. Or, vous le savez aussi bien que moi, les vrais héros, ceux qui traînent leur malheur en payant les pots cassés de leur misère, on n’en parle jamais. Ça fait pas très glamour.
Alors, dans cette guerre déguisée en réconciliation nationale, j’ai décidé de leur laisser un peu la parole à tous ces types sombrés dans l’anonymat. L’occasion de renouer avec le bon vieux temps.
Manière de se rappeler aussi que de l’Histoire on ne retient rien. Car le propre de l’homme, c’est d’être toujours plus con. »