La mémoire des femmes
Te donner cet enfant, dans tes bras, qu’ils s’ouvrent et la joie. J’aurais voulu que tu le voies, il porte un peu de toi. Les yeux, mais pas seulement. Il porte ton absence aussi. Et le silence, écho à mon appel, notre appel. C’est ma voix, et la sienne aussi je crois.
Ce matin, nous sommes partis tous les deux. Enfants perdus dans la ville, immense, et ton absence. Beaucoup ont salué sa beauté, des visages étrangers. Nous avons acheté des choses, des tissus, des jouets. Je remplis ma maison. Je me déplace entre les meubles avec précaution.
Je regarde par la fenêtre, les arbres sont divins, couverts d’eau et de pleurs, se mêlent aux miens. J’aime la pluie, comme une fine étreinte, on ne sait quand elle commence, finit. Je redoute l’orage, étonnant, le crépitement soudain, brutal ; toute la peine du ciel, une ruine soudaine qui s’abat sur nos murs.
Je ferme les volets : la nuit, déjà. Un petit cri, j’accours vers lui, sans bruit, et son souffle serein me laisse en repos. Je glisse hors de sa chambre, je m’évade et je danse. Comme toi. Je traverse les miroirs, qu’y a-t-il au-delà ? Des chimères ? Des mensonges un peu tristes ? Des histoires racontées par des siècles de mémoire, celle de mes semblables, la mémoire des femmes… La lourdeur de l’héritage m’oppresse. J’ouvre la porte, ne peux sortir, laisser le berceau sans la mère. Je reviens sur mes pas, mes pieds effleurent le sol, à peine. Suis-je une évanescence ? Comme toi ? Je crains de perdre consistance.
Demain, nous irons au marché, étouffer la douleur. Je choisirai les étoffes, je coudrai des draps neufs. Je verrai des êtres absents qui parleront pourtant, tous ces hommes et ces femmes dont le cœur est ailleurs quand ils parlent du ciel et de la vie, de l’été qui s’étire à l’infini. Il y aura du bruit et des couleurs, presque une fête, un simulacre plutôt, et bientôt des flots d’azur, l’insoutenable chaleur, la sueur et les bras nus, les paroles estompées. Et toi, qu’aurais-tu à nous dire si tu étais parmi les nôtres ? Que voudrais-tu nous raconter qui ne serait pas vérité ? Alors peut-être vaut-il mieux ton silence noyé dans la foule, le brouhaha bigarré, tes mots tus, leur étrangeté.
Ce soir, je vais encore lutter, afin de préserver l’espace dénudé, celui qui me berce puisque tu n’es pas. Là. Au milieu du bois lourd des armoires vides –j’y mets mon âme. Bientôt, je vais y placer des objets encombrants. J’irai chiner, à la recherche de ce qui manque…
Une nouvelle signée Solange Schneider pseudo Zalma écrivain, auteur de « Chemins étranges » et « Points de fuite »