Voici un extrait d’une histoire qui se passe « là-bas », un ailleurs et des différences sociales que je vous laisse découvrir à travers cette lecture…
ICI ET LÀ-BAS : extrait du recueil de nouvelles « POINTS DE FUITE »
Les ordres claquent, secs comme des coups de fouet : « Tu laveras la cuisine, tu lessiveras surtout les coins, avec la brosse. La cire pour le parquet du salon, mets-en deux couches, il faut que ça brille. La nappe, tu la poses sur la table, droite, sans pli. N’oublie pas les serviettes ! Douze. Nous serons douze, ce soir. Et ne laisse rien traîner : les chiffons, tu les ranges. Pense aussi à ôter la poussière des meubles. Tu comprends ce que je te dis, au moins ? Bien, je vais chercher les enfants. À mon retour, tout doit être prêt. Ne traîne pas. N’attends pas que je sois partie pour commencer, tu sais où se trouve le balai ! Dépêche-toi un peu ! Tu comprends ce que je te dis ? »
Si je comprends ? Oh oui, je comprends : tes ordres, tes exigences, tes certitudes aussi. Ce qu’on t’a inculqué, ce que tu crois que tu es, ce que tu crois que je suis : si peu, somme toute, sinon des bras qui exécutent, des pieds enflés à force de marcher, des genoux tannés, des mains calleuses à frotter le sol de ta maison. Un paquet de muscles besogneux, doté d’assez de raison cependant pour saisir que tu es née là-bas et moi ici, c’est toute la différence.
J’arrive le matin. Il est tôt, le ciel est pâle. J’accomplis la longue liste des tâches qui me sont dévolues, depuis que je suis en âge de récurer, repasser, cuire, veiller au bien-être des tiens, des miens, de tes semblables.
(…)
Ce soir, vous dînerez dans le grand salon. Les regards des hommes glisseront sur les jambes dénudées des femmes ; elles riront, renversant leur tête en arrière, secouant leur longue chevelure. Elles pousseront parfois des petits cris aigus, leur gorge dévoilée, provocante et sans pudeur. Je saurai laquelle d’entre vous séduira un mari qui n’est pas le sien.
Peut-être le tien succombera-t-il une seconde fois, qui sait ? Alors, sans même que tu t’en aperçoives, tes ordres seront encore plus nombreux et cinglants. Alors, tu cesseras de te nourrir pour te punir de n’être pas restée là-bas. Et puis, tu coucheras sur le papier ton désespoir. Car toi, tu sais écrire. Tu sais enseigner toutes ces choses que moi j’ignore. Tu es venue ici pour ça. Les étudiants aisés viennent t’écouter dans ce grand bâtiment que je n’ai jamais pénétré. Ils notent avec application ce que tu dis. Plus tard, ils seront médecins ou avocats, certains d’entre eux quitteront le pays, s’installeront dans celui d’où tu viens. Moi, je resterai là. Je continuerai à préparer les plats, à nettoyer, à ordonner ta maison ou celle de la femme qui te succédera. Mon mari sculptera le bois, mes fils aussi. Mes filles auront appris à cuisiner, à servir, mais pas à lire…
Une nouvelle signée Solange Schneider pseudo Zalma écrivain, auteur de « Chemins étranges » et « Points de fuite »
4 commentaires
au final des réceptions guindées, convenues, où des femmes entretenues se permettent tout !
à contrario, un regard sur ce que la plupart du temps les femmes ancillaires accomplissent, et devraient inciter à partager les peines comme les joies
pour le meilleur et pour le pire….
Merci pour cet extrait qui nous montre avec beaucoup de sensibilité l’importance de cette fracture sociale .
avec plaisir