Voici une petite nouvelle, en ce mois de décembre ; une nouvelle non pas sur les fêtes de Noël qui approchent à grands pas… mais un texte tout simple et basé sur une expérience réelle qui se passe en plein hiver, et que j’ai eu envie de partager, à la façon d’une jolie petite histoire…
Bonne lecture !
![photo nouvelle PATRIMOINE CAMPANAIRE](https://rainfolk.com/wp-content/uploads/2021/12/image2F15759582F202112102Fob_7ac7f2_photo-nouvelle-patrimoine-campanaire.jpg)
PATRIMOINE CAMPANAIRE
Mon angoisse tient en une phrase, une seule petite et unique phrase : « Pourquoi ai-je accepté ? »
C’est désormais trop tard, et je suis coincée dans cet escalier de pierre, en colimaçon, sans aucun endroit où m’agripper en cas de chute. J’en mesure rapidement les conséquences : compte tenu de la hauteur à laquelle je me trouve, soit presque soixante mètres d’escalier monté avec peine, si je tombe, je ne m’en sortirai pas vivante. Si je tombe, je me fracasse le crâne contre les murs et les marches inégales, en grès rose, qui pour le moment tournent, tournent… autant que ma tête épuisée.
- Ça va ? demande une voix enjouée derrière moi.
Elle a l’habitude de faire ça, elle : de montrer ces marches dangereuses, sans peur. Pas moi. Pour faire bonne mesure, je réponds :
- Oui, oui, ça va ! en essayant d’introduire un sourire dans ma voix, parce qu’il paraît que ça s’entend, le sourire, et si je meurs là, maintenant, dans cet espace sombre et clos, je veux qu’on puisse penser que j’ai été courageuse et sympathique jusqu’au bout.
- On y est bientôt, non ? j’ajoute, pleine d’espoir.
- Encore quelques marches et on y sera ! me répond « la femme qui a l’habitude de les grimper, ces fichues marches ».
Oui, parce qu’elle travaille à l’Office du Tourisme, la dame qui m’accompagne.
Quel rapport avec les marches en pierre de cet interminable escalier en colimaçon ? Hé bien, « le patrimoine », bien sûr ! Et plus précisément, « le patrimoine campanaire ».
Dire que je risque ma peau à cause de ça, à cause du patrimoine campanaire !
Je me concentre au maximum, mon pied a failli glisser à l’instant et je me suis rattrapée de justesse, presque par miracle. Sans réfléchir, je commence à réciter une prière à voix basse, celle qu’il faut dire au moment de mourir, c’est instinctif. Et je me promets de ne plus jamais accepter des choses pareilles !
En même temps, est-ce que je pouvais me douter que j’allais devoir grimper jusqu’en haut du clocher ? Franchement, non.
Nous faisons une halte rapide dans un lieu minuscule, une sorte de plate-forme intérieure balayée par les vents : à ma droite, se trouve la couche où dormait autrefois « le sonneur », l’homme qui, au Moyen Âge, avait pour mission de sonner les cloches de l’église à la bonne heure. Sans quoi, m’explique la dame de l’Office de Tourisme, il risquait de faire de la prison !
Je note tout ceci dans mon petit calepin à spirales et prends de mon mieux quelques photos : après tout, je suis là pour ça, non ? Et puis, ça permet de faire une pause avant de retourner dans l’escalier sombre en colimaçon…
« Saloperie de patrimoine campanaire ! », je murmure entre mes dents, en espérant que ce supplice s’achève rapidement. En plus, l’air est glacial en cette saison d’hiver, et je me demande pour quelle raison mon agence m’a envoyée là, aujourd’hui. Comme si ça ne pouvait pas attendre l’été !
Et tout ça pour quoi ? Je me le demande aussi. En tous cas, ce n’est pas pour l’argent, vu ce qu’on nous paye… C’est pour l’amour du boulot, pour le plaisir de cavaler à droite et à gauche, demander aux gens les choses les plus invraisemblables, les noter et réunir tout ça sous la forme d’un article qui tiendra la route. Sur un sujet précis. Avec un angle précis. En joignant des photos en plus de la rédaction de l’article.
J’ai accepté de monter jusqu’en haut de cette église qui fait tout même soixante mètres, afin de rédiger un article pour la presse qui paraîtra dans les pages locales, sous la rubrique « culture ». Un article que la plupart des abonnés survoleront d’un œil distrait, parce que « le patrimoine campanaire », c’est-à-dire l’état des cloches de l’église de la ville, la plupart s’en moque royalement.
Mais je le fais quand même, parce qu’il faut bien trouver des sujets pour alimenter la rubrique « culture », et qu’on est content de trouver de temps en temps quelque chose à dire, parce que depuis « le Covid », côté culture, c’est pas la joie : l’annulation des concerts et de toutes festivités habituelles durant de longs mois, ça a fichu un coup à la presse culturelle locale !
Ça y est, on est enfin arrivé tout en haut de l’église, là où se trouvent les énormes cloches, dont certaines sont en réparation. C’est impressionnant et il y a des choses à dire, bien sûr, et de belles photos à prendre. Je ferai un chouette article, même si peu de gens le liront. Je ferai un chouette article parce que tout de même, pour le réaliser, j’ai bien cru que j’allais y laisser ma peau, dans l’escalier dangereux de cette église glaciale !
Je ferai un chouette article qui changera les idées de celles et ceux qui en ont marre de ne lire et de n’entendre que des choses concernant « le Covid ».
Je m’applique à poser des questions, je règle mon appareil photo, c’est un moment de paix qui fait du bien. Nous dominons la ville, et la vue, depuis les interstices du mur, est magnifique : les toits, l’autre église un peu plus loin se découpant dans le ciel bleu pur de l’hiver. Je savoure ces quelques instants de sérénité bien méritée.
Et puis surtout, pendant que je prends mes notes avec application, et mes plus belles photos, cherchant un maximum de lumière, j’oublie une chose, une chose importante…
J’oublie que tout à l’heure, il faudra les redescendre sans glisser et sans tomber, ces fichues marches en colimaçon de la plus haute église de la ville !
Zalma-Solange Schneider
![rainfolk Solange Schneider](https://rainfolk.com/wp-content/uploads/2021/12/image2F15759582F202112102Fob_dbd194_rainfolk-solange-schneider.jpg)
Une nouvelle signée Solange Schneider pseudo Zalma écrivain, auteure de « Chemins étranges », « Points de fuite », et « Demain, tout ira bien ! » et « Ma vie en rouge et noir »
6 commentaires
c’est pareil pour moi, pour faire un bel article, je m’aventure quelques fois dans des randos difficiles…
Il faut sortir de sa zone de confort
Même dans un escalier, mieux vaut ne pas être sujet au vertige, mais quoiqu’il en soit la récompende est la photo d’en haut
exact
J’adore.
moi aussi