En ce premier mardi du mois de mars qui annonce le renouveau, la sève des arbres aux feuilles vert tendre et aux pétales roses et blancs, voici un extrait d’une nouvelle, « Mina et les fleurs », qui se déroule justement au printemps…
Ce n’est que le début, bien sûr, et il n’est pas encore très inquiétant… mais la suite, qu’on peut lire dans le recueil « Ma vie en rouge et noir », l’est bien plus…
Alors, attachez vos ceintures, car ce printemps vous réserve de sacrées surprises, en compagnie de Mina et de ses fleurs !
Mina et les fleurs
L’endroit était sombre. Un parquet en bois ancien, quelques chaises disposées çà et là. Sur la table basse, une pile de revues usées ; un peu plus loin, une étagère garnie de livres pour enfants, et puis ces pots : de tous petits pots en terre cuite, d’où dépassaient des plantes que je ne connaissais pas.
Cette rangée de fleurs en pot me mettait mal à l’aise.
Mina observait la salle d’attente en se tortillant sur sa chaise en osier. Elle se mit à regarder en souriant les plantes dans les pots en terre cuite ; elles paraissaient lui plaire…
Après d’âpres discussions, son père et moi nous étions enfin décidés à l’emmener consulter un psychologue. Non pas que Mina fût une enfant turbulente comme certains gamins déchaînés, et nous ne soupçonnions pas non plus une pathologie grave. Non, rien de tout ça. Mais Mina était renfermée, parlait peu et surtout, si elle avait des passions et des lubies, elle n’avait pas d’amis. Il fallait qu’elle sorte de sa bulle.
- Il n’est pas normal qu’une enfant de six ans s’intéresse à ce point-là aux escargots ! s’inquiétait mon mari.
Pour ne pas envenimer les choses, je répondais :
- Ça lui passera comme ça lui est venu, c’est de son âge !
Mais nous nous inquiétions de cette passion presque monomaniaque. Notre fille ne parlait plus que de ces petits êtres mous et de leur coquille, on aurait cru qu’elle les vénérait. Elle les ramenait à la maison, les nourrissait de feuilles de salade et caressait doucement ce qui ressemblait à une spirale nacrée posée sur leur dos. Après quoi, elle les plaçait délicatement sur la pelouse du jardin, afin de ne pas les priver de liberté, et elle se mettait à leur parler. Bien sûr, ces animaux ne comprenaient pas un mot de ce qu’elle pouvait leur raconter… Je tentais de rassurer mon mari :
- Mais puisque ça la rend heureuse, quelle importance ?
- Ce ne serait pas inquiétant si elle s’amusait aussi avec des enfants de son âge ! D’ailleurs, a-t-elle seulement voulu inviter une seule amie pour son anniversaire ?
Il est vrai que Mina avait exigé que la fête se déroule en l’unique présence de ses petits invertébrés à coquille. Le gâteau lui-même avait dû être décoré de feuilles de salade verte, afin que ses « amis » puissent s’en régaler. Mon mari s’était agacé :
- Forcément, si tu cèdes à tous ses caprices, comment veux-tu que ça s’arrange ?
- Ce n’est pas si important, avais-je répondu. Regarde ta fille, elle est heureuse, et c’est bien ça qui compte, non ?
La porte du salon avait claqué brutalement. Je pouvais comprendre que mon mari n’en supporte pas davantage. Pourtant, il ne s’agissait que de charmantes fantaisies, qui s’estomperaient en temps voulu.
Le soir-même, nous eûmes une discussion à l’issue de laquelle, pour apaiser mon mari, nous décidâmes de prendre un rendez-vous chez ce jeune psychologue qui venait tout juste de s’installer dans l’ancien quartier de la ville.
***
À présent, je contemplais les murs de la salle d’attente : ils étaient tendus de tissu à fleurs, les couleurs étaient passées, l’ensemble était vieillot. Même les chaises en osier semblaient dater du début du siècle dernier.
Par crainte d’arriver en retard, nous étions finalement en avance, mais Mina n’en était pas gênée, bien au contraire. Pour la première fois depuis longtemps, je la vis sourire en découvrant ses dents de lait encore toutes blanches et fraîches. J’avais l’impression que quelque chose, dans cette pièce aussi sombre qu’exiguë, lui donnait enfin envie de croquer la vie.
Mina s’approcha des plantes en pot, et se mit à effleurer les petites feuilles vertes et luisantes du bout de ses doigts roses Elle commença à leur parler à voix basse, nous ne comprenions pas ses mots. Mon mari se pencha vers moi et souffla à mon oreille :
- Ça y est, une nouvelle lubie !
J’allais répondre, mais la porte du cabinet s’ouvrit enfin, et nous y pénétrâmes tous ensemble. Mina prit immédiatement place dans ce qui ressemblait à un fauteuil pour chien : un siège bas, confortable et garni de coussins. Mon mari et moi nous assîmes sur les deux chaises en bois foncé et dur, face au psychologue. C’était un homme jeune, au visage un peu fatigué. Ses yeux bleus et clairs nous fixèrent un instant :
- Alors, qu’est-ce qui vous amène ? questionna sa voix douce et feutrée.
Mon mari entreprit d’exposer ses inquiétudes, tandis que j’écoutais distraitement. J’avais du mal à me concentrer dans ce petit bureau où tout paraissait suranné. Et surtout, il y avait cette odeur étrange, quelque chose qui ressemblait à des vapeurs de chlorophylle…
Une nouvelle signée Solange Schneider pseudo Zalma écrivain, auteure de « Chemins étranges », « Points de fuite », et « Demain, tout ira bien ! » et « Ma vie en rouge et noir »
6 commentaires
elle aurait pu aussi s’intéresser aux escargots sans coquille
les limaces ?
mina est une belle fleur …
oui…
Merci pour ce texte que j’ai beaucoup aimé, bises
avec plaisir