Ils veulent des femmes parfaites, vous savez, des femmes qui acquiescent, hochent la tête, répondent à leurs moindres souhaits. Les tracas, les embarras, tout ça ne les intéresse pas. Ils veulent se coucher l’âme en paix, ils veulent se réveiller à côté d’un sourire, même figé, du moment que la bouche se tait ou prononce des mots simples : « J’ai préparé le café, tu en veux ? »
Les armoires vides
Elle lève les yeux vers moi ; ils sont gris, très clairs, légèrement cernés, comme une ombre balayant son regard triste. Elle dit :
- Je ne sais pas pourquoi je vous raconte ces choses-là. Enfin…
Vous savez, au début, ils disent toujours « je t’aime ». Il ne faut pas les croire, mais c’est difficile, la tentation, vous comprenez ? Ils embrassent une image et vous voulez lui ressembler. Vous vous formez une vague idée de ce qu’il faut être. Peu à peu, vous ajustez votre comportement, votre discours. Vous voici alors un être emprunté, il est trop tard pour reculer. Vous continuez, vous avancez dans le chemin tracé. Au fond, ce n’est pas très difficile ; c’est un peu comme un vêtement : on repasse, le pli est pris. Bien sûr, un jour ou l’autre, il se défait…
Sa voix atone, son débit continu m’étonnent. Cette façon impersonnelle de se dire me semble étrange. Elle poursuit :
- Oh, ce sont de banales histoires. Un jour, quelques mots vous échappent : « inquiétude, fatigue, lassitude ». Vous ajoutez : « il faut qu’on parle ». Eux voient alors le reptile rampant qui va les étouffer. Ils commencent à dire qu’ils sont submergés de travail. Ils rentrent de plus en plus tard, plongent aussitôt dans le sommeil. Vous insistez, tentez d’instaurer un dialogue ; vous avez tort : ils se replient davantage sur eux-mêmes, carapace refermée. Vous voudriez inverser le cours du temps, revenir à l’endroit où vous pouviez encore dissimuler.
Il est trop tard.
S’écoulent de longues minutes de silence. Je ne l’interromps pas.
- Un soir, vous tournez la clé dans la serrure. Il fait noir, vous pressez le bouton, la lumière inonde les armoires vides. Vous cherchez un mot, une explication, un morceau de papier écrit à la hâte. Vous pensez qu’il a dû glisser sous le tapis. Vous soulevez le tapis, vous ne trouvez rien. Vous allez vous asseoir sur le canapé.
Vous êtes en état de choc.
Je veux qu’elle m’explique ce choc, ce qu’elle a ressenti. Je dis : « Vous avez dû beaucoup souffrir le soir de son départ ». Elle continue :
- Vous passez votre première nuit dans le lit froid, trop grand. Vous vous endormez au petit jour. L’aube est grise. Lorsque vous ouvrez les yeux, vous tentez d’éloigner le cauchemar, la solitude. Vous vous levez péniblement. Vous préparez le café, vous faites couler l’eau du bain. Vous meublez le quotidien. Vous vous accrochez aux choses, vous nettoyez soigneusement la maison.
Vous changez les draps du lit.
Je saisis ce détail : « Donc, vous avez changé les draps. Avez-vous changé d’autres choses encore ? » Elle dit :
- Vous savez qu’il ne reviendra pas. Quand ils s’en vont, ils n’emportent qu’une valise. Ils savent où ils vont la déposer. Une autre les attend, depuis quelques mois ou quelques semaines. L’autre sourit, elle cuisine, elle repasse, elle recoud, secoue la tête de haut en bas ; elle ne pose pas de questions. Ils font l’amour. Ils aiment ôter les vêtements de la femme qui consent, de celle qui approuve, qui ne complique pas leur existence. Après, ils s’endorment, repus. Ils ont déjà oublié la femme avec laquelle ils ont vécu pendant un an, deux ans, dix ans…
Je demande : « Vous croyez qu’il vous a oubliée ? »
- Mais vous, vous n’avez pas oublié. Vous, vous ne croyez plus leurs mots d’amour falsifiés, frelatés. Vous voulez du pur, du vrai.
Au cours d’une soirée, un homme vous aborde. Vous ne l’écoutez pas, vous faites semblant. Il dort dans vos draps. Vous souriez. Le lendemain, vous préparez le café. Vous hochez la tête, vous acquiesciez.
Il veut vous revoir, vous hésitez. La tentation, vous comprenez ?
Il dépose ses vêtements dans l’armoire. Il installe son rasoir, il dépose ses chaussures dans le placard…
Au bout de six mois, vous êtes fatiguée de sourire, d’empêcher vos doigts de trembler, vos yeux de s’embuer et votre langue de parler. Fatiguée de camoufler, d’occulter. Alors, vous prononcez les mots : « inquiétude, fatigue, lassitude ». Il se raidit, se rétracte.
Pendant votre absence, il rassemble ses vêtements, les jette dans sa valise. À votre retour, vous trouvez la maison vide. Il n’a pas laissé de traces, pas même un peu d’encre sur un papier, mais ça, vous le saviez déjà…
Vous vous couchez dans le lit trop grand. Le lendemain, vous récurez le plancher, les meubles, les objets.
Vous savez qu’au début, ils disent toujours « je t’aime ». Il ne faut pas les croire.
Ses doigts fouillent son sac, trouvent une enveloppe cachetée. Elle me la tend, me demande de l’ouvrir après son départ seulement. Elle serre la main que je lui tends, descend les escaliers. Je m’approche de la fenêtre, la suis du regard. Son ombre disparaît au coin de la rue. J’ouvre l’enveloppe, sors le papier qui s’y trouve, le déplie. Je lis :
« Vous vous rendez chez un médecin spécialisé. Vous lui avez donné une fausse adresse, une fausse identité. Il vous écoute, un peu distrait. Il ne soulage pas vos maux. Vous rentrez chez vous.
Votre maison est un souffle glacé.
Vous allez dans la cuisine, vous ouvrez le robinet du gaz, vous vous allongez. Un peu plus tard, vous ne souffrez plus ».
Une nouvelle signée Solange Schneider pseudo Zalma écrivain, auteure de « Chemins étranges », « Points de fuite », et « Demain, tout ira bien ! » et « Ma vie en rouge et noir »
6 commentaires
La solution serait une épouse ne même temps qu’une maîtresse
le beurre , l’argent du beurre et la crémière ?
pas un homme ne mérite qu’une femme se tue pour lui! Bonne journée texte poignant
Je suis d’accord
Dur , dur , mais extrêmement bien analysé et écrit .
je suis d’accord avec toi