Comme tu es belle…
Tes longs cheveux brillent dans la pénombre, comme tu es belle ! Ta peau irisée se répand dans ma lumière, tu m’entoures et me ceins. Comme tu es belle ! Tu exhales ton parfum puissant, tu t’approches et soudain, je suis cernée d’épouvante, je suis…
Je suis celle qui arrache les murs, ceux qui me disent combien j’ai peine à être.
J’ai guetté longtemps, tapie derrière le voile du silence, ce monstre blanc. Mais vous saviez, n’est-ce pas ? Oui, vous saviez : derrière les portes closes, la folie rugissante.
Elle était armée de mots assassins et elle tuait mon âme. Tous les jours, toutes les nuits. Et vous saviez cela lorsque vous murmuriez son nom, si bas qu’on vous eût crus fantômes muets. Ainsi vous étiez, et sourds aussi, et aveugles aux cris.
Tes yeux pâles brillent dans la pénombre, comme tu es belle ! Tes lèvres s’ouvrent et profèrent des injures, parce que moi, je suis laide, je suis souillure. J’ai germé en toi comme une racine malsaine et je suis née de ton venin.
Nous ne nous éteindrons pas, jamais. Notre lien est plus fort que la mort et nous lui survivrons ; nous ne sommes que blessées. Voici notre éternité de haine, celle où nos âmes mortes iront errer. Nous serons seules comme nous l’avons toujours été. Car vous, vous passiez devant nous à petits pas pressés, vous vous hâtiez afin de préserver votre ignorance, et pourtant vous saviez… Vous cultiviez votre méconnaissance, vous abritiez de la rumeur ; vous chuchotiez, très vite, à peine un vent furtif. Vous libres, retourniez à vos demeures, vos rires loin de ma vie, pas la vôtre.
Que tu es belle, ma mère ! Tes cheveux sont comme le miel, ta bouche est pleine de fiel. Tu m’attires comme l’aimant ; tu m’attires et je mens puisque je peux sourire, moi le serpent, je glisse auprès de toi, rampant vers ta colère.
Ne m’arrachez pas à elle, elle est ma nuit, mon cloaque infernal.
Ne rompez pas l’épais mystère qui nous unit, l’enceinte incandescente qui nous enferme.
Ne l’arrachez pas à moi, je suis sa sève et sa substance, elle boit ma source et se repaît. Sans moi elle n’est pas, elle n’est rien : je suis l’invisible lieu où ses tortures se déchaînent et nous brûlent vives ; je suis son pôle tragique, son eau trouble, son double amer. Dans nos veines coule le sang noir de la déchirure. Vous, vous ne faites que passer, vous glissez près de nous, esclaves, l’une à l’autre attachées.
Elle ne vous séduit pas, elle vous effraye. Vous frémissez, et votre peur se mue en parole muette. Vous levez le voile : derrière les vitres, des visages opaques ; je les ai vus, vos yeux qui nous regardent marcher ; c’est une éclaboussure, et moi je peine à suivre, j’attrape le tissu de sa jupe, me cache en elle, me fonds ; et demeure la soudure. C’est elle qui vainc, vous désigne tous fuyants, ineptes.
Comme tu es belle, ma mère, tu resplendis d’infini. Ta chevelure ondule, tu secoues tes épaules nacrées, tu laces tes souliers ; à tes pieds je me tiens, nue, indigne et frêle car je suis ta boue, ton intime fange. Je suis ton meurtre inassouvi, ta chute et ton abîme, ta déchéance. J’éveille en toi la fêlure de l’obscur, la folie pure.
Je trébuche sur mes mots, sans cesse, percute la nébuleuse des sons, ne peux m’extraire de cet amas compact, je bute et chute. Alors, je m’inonde de mon urine chaude, me liquéfie. J’excite ton courroux, je m’inflige la torture de ton châtiment.
Autrefois, je dormais dans tes eaux, bercée au rythme de tes pas, je baignais dans ton flou, dans le flux et le reflux de ton onde. De la déchirure de ton ventre, je suis tombée. Un schisme béant s’est ouvert : sous toi, ta part d’ombre, et ta proie désormais.
Nous ne nous quitterons pas, jamais. Voici notre prison d’épaisses murailles, nous n’en sortirons pas. Là où nos luttes atemporelles nous abolissent, vous n’entrez pas.
Comme tu es belle, ma mère. Tu m’enserres et me lies ; ligotée, je suis tenue au secret, l’informulé. Tu rougeoies devant moi, je m’incline, mes bras caressent le sol, doucement, je lève la tête et je te vois : tu souris mais déjà ton visage durcit comme la pierre, car je suis le linceul de ta joie. Tu craches un feu immense et je m’immole. Je suis ton offrande.
Je ne m’échapperai pas, je ne m’évaderai pas car personne ne viendra nous scinder. Vous l’entendez mugir, son cri enfle et cogne, et moi je me répands. Je suis son eau immonde, sa vaste flaque, sa déjection âcre et opaque.
Je suis son évanescence morbide. Je ne vous appelle pas, vous, si loin, si près. Vous l’entendez rugir, ne voulez, ne venez calmer sa démence.
Elle était armée de mots assassins et elle tuait mon âme, tous les jours, toutes les nuits… Mais vous saviez cela, derrière les portes closes. Oui, vous saviez.
12 commentaires
superbe texte..
Merci
Hello Bernie
Elle a ouvert la porte au roi lézard ou est elle sa réincarnation ?
Le tueur s’éveilla avant l’aube, il mit ses bottes
Il prit un visage dans la galerie antique
Et il s’avança le long du couloir
Il rentra dans la chambre où vivait sa soeur, Et… puis il
Rendit visite à son frère, puis il
Continua le long du couloir, et
Il arriva à une porte… et il regarda à l’intérieur
Mon père, oui mon fils, je veux te tuer
Ma mère… je veux… . te baiser
Un texte très torturé comme le fit il y a 50 ans Mister Mojo Risin
@+ Pat
Merci pour ce texte
il y a des amours qui transforment la vie en prison
ou l’inverse.
Noir c’est noir…
Mais si…
oh un texte superbe et très touchant, j’avoue que je suis fan, merci pour ce partage. heureuse que mon pas à pas avec la tresse d’ail te plaise, un sujet que j’aime faire. bises.celine
Merci
Salut
Un beau texte pour la maman.
C’est pas la fête des mères pourtant.
Bonne journée
Merci