Les derniers jours de quoi, au juste ? … « Ça n’allait pas » une nouvelle signée Solange Schneider pseudo Zalma.

Ça n’allait pas
La boutique ne désemplit pas, froissement des tissus, odeurs mêlées de textile neuf et de sueur, de froid d’hiver, de fatigue un peu grise. Pourtant, l’effervescence ne faiblit pas, les énormes pancartes peintes en jaune annoncent les soldes, les « derniers jours ».
Je saisis un petit haut vert qui semble à ma taille, le col est travaillé, orné d’une jolie dentelle sans doute cousue à la va-vite dans un atelier…
- Vous voulez l’essayer ?
La voix m’a fait sursauter, mais la jeune vendeuse est souriante. Ce n’est pas encore l’heure de pointe, elle a quelques minutes à m’accorder.
- Les cabines sont au fond, à droite. C’est votre taille ?
- Oui, oui… c’est le seul coloris ?
Le vert émeraude est joli, mais un rouge sombre serait peut-être mieux, ou alors un violet, pourquoi pas… La vendeuse fouille la pile de vêtements défaits, en profite pour remettre en place quelques modèles, m’en présente un autre, très semblable, violet vif à col montant :
- Voilà, je pense que ça devrait vous aller ! Vous pouvez essayer plusieurs modèles, si vous voulez. Avec la jupe grise, ça ira très bien…
Dix minutes plus tard, la cabine d’essayage déborde de jupes en lainage noir et gris, et de pulls de toutes les couleurs. Je tire l’épais rideau de la cabine, commence à me déshabiller.
Au moment d’enfiler le débardeur violet, l’étiquette me saute aux yeux, les lettres se détachent, on dirait qu’elles sont en feu : « Bangladesh ».
L’odeur toujours aussi prégnante du tissu neuf me semble âcre tout à coup, des images se superposent aux montagnes multicolores de tissus empilés : une pièce au sol de terre battue, la chaleur accablante du lieu, cette unique pièce où vivent adultes et enfants, dix personnes réunies sous un ventilateur géant dont les pales tournent lentement. La femme explique qu’ils ont pu acheter le ventilateur grâce à son salaire, depuis qu’elle travaille dans l’usine textile qui s’est implantée tout près, la pauvreté s’est éloignée… au moins un peu. Ce soir, la famille mangera du riz, peut-être même du pain aussi, du pain rond et plat.
La nausée m’envahit soudain, je ne sais plus très bien ce que je suis venue faire ici : chercher quoi ? Ne surtout pas rater les « derniers jours » ? Les derniers jours de quoi, au juste ?
Je repose le petit haut assemblé au Bangladesh, j’ai l’impression de voir ces containers pleins de cartons remplis de textiles traversant les mers, polluant l’océan, et des bouches affamées tandis que des mains, petites ou grandes, piquent les tissus chamarrés…
J’enfile mon pull, mon manteau, sors en courant. En claquant la porte vitrée du grand magasin, la voix aimable de la vendeuse résonne encore, tel un écho :
- Ça n’allait pas, madame ? Vous voulez essayer une autre taille, un autre modèle… ?

7 commentaires
la mondialisation n’ a pas que des avantages
C’est vrai
En Tous cas avant hier pour les soldes ont a profité de bonnes affaires… Hugo Boss et Burton pour moi, Victoria Secret’s et Calzedonia pour Soso…
Bon Samedi
@+ Pat
impeccable
Presque pas… : je porte par exemple, certains vêtements indémodables avec juste une petite touche neuve (une ceinture, une paire de boucle d’oreilles… ), et ce, depuis des années (le comble ayant été atteint avec un manteau : plus de 20 ans !!! Il est râpé et je ne peux vraiment plus le porter… ) 😀 !!
J’avoue que j’ai quand même « fait les soldes », hier, même si je déteste ça, mais bon, il faut bien s’habiller…
Et bref, en une heure, c’était plié : 3 jupes, deux manteaux, un chapeau, une belle chemise blanche… m’a fille m’a dit : « Ah, mais là, c’est bien… comme je te connais, tu es tranquille pour les dix années à venir !!! »
;D 😀 😀 !!!
ta fille exagère !