Voici un extrait de la nouvelle, "L'étoile bleue", issue du second recueil "Chemins étranges" de Solange Schneider.
Nouvelle "L'étoile bleue" (Extrait)
Maman a peur du noir et des armoires, leurs lourdes portes refermées sur le noir… Maman a peur du soir lorsqu’il s’égare et qu’elle reste seule, assise ou debout, devant sa fenêtre grise. Chez nous, les vitres sont opaques : maman n’aime pas les nettoyer, elle dit que ça abîme ses mains et ses journées.
Elle préfère lire ou ne rien faire, et regarder le ciel quand il est clair, parfois ; maman dit que ça n’arrive qu’au printemps, un ciel comme ça, décoré de lumières aussi fortes que des cris d’enfants, aussi folles que des lustres multicolores.
Maman dit qu’un lustre vaut cinq ans : « Cinq longues années, Ethan… tu te rends compte ! » et je souris quand elle dit ça, comme ça, parce que cinq ans, c’est la moitié de mon âge. Maman sourit aussi et dit : « Tu es grand maintenant, Ethan ; tu as deux lustres et demi… tu savais ça ? », et je ris un peu plus fort puisque je le savais déjà.
Mais ce soir, maman ne parle pas. Elle prononce des mots tout durs ; on dirait du pain sec. Elle tient de grands ciseaux dans sa main gauche. Elle a coupé un drap bleu comme le ciel ; il est en forme d’étoile, avec des crans un peu partout. Elle crie un mot que je ne comprends pas, jette son étoile au sol et disparaît derrière son ombre grise. Je la connais, cette ombre : on dirait un fantôme… un grand fantôme muet…
Elle crache du feu, elle pleure des larmes rugueuses et sèches, rondes et douces, elle pleure des larmes de feu, et disparaît peu à peu… Mais je sais que demain, elle sera là, et je regarderai ses longs cheveux danser autour de son visage si pâle, presque blanc. Oui, demain, elle sera là, de nouveau avec moi. Alors j’attends… qu’elle soit un peu moins loin, un peu moins triste… oui, j’attends que ses yeux soient moins noirs dans la lumière du soir…
***
Hier, une grande femme est venue nous rendre visite, et maman lui a dit : « Asseyez-vous, je vous en prie… » et la dame s’est assise, et a bu le café que maman avait préparé. Elle l’a bu à toutes petites gorgées, en lui posant plein de questions et en l’appelant « madame ». Maman serrait ses mains l’une contre l’autre, et pendant qu’elle parlait, je voyais ses ongles roses devenir blancs, et s’enfoncer tout doucement dans sa chair.
Après, la dame m’a demandé comment j’allais, si je me sentais bien dans ma nouvelle maison. J’ai répondu que j’aimais beaucoup ma chambre bleue, et la femme a voulu voir ma nouvelle chambre. J’ai bien remarqué que maman devenait de plus en plus pâle, mais je ne pouvais pas faire autrement que d’emmener la dame dans ma chambre.
Elle s’est assise sur mon lit et m’a demandé si maman parlait seule, parfois. J’ai répondu un peu trop vite, je crois, et elle m’a demandé de répéter. Alors, j’ai dit : « Je ne sais pas… » mais elle a insisté, et j’ai fini par répondre : « Oui, peut-être… enfin, je crois… des fois… je ne sais pas… ».
La femme m’a demandé si ça arrivait souvent, et j’ai dit que je ne comprenais pas sa question. Elle a répété : « Je crois que tu comprends ma question, Ethan… est-ce que ta maman parle souvent toute seule, en disant des choses un peu bizarres, des choses que tu ne comprends pas, sans te regarder ? ». C’est là que j’ai compris…
Une nouvelle signée Solange Schneider pseudo Zalma écrivain, auteur de « Chemins étranges » et « Points de fuite »
12 commentaires
l’horreur quand on sombre peu à peu dans la folie et qu’on le sait
Oui c’est terrible…
Maman soit plus claire sinon tu as tord !
Alors …
ET… après Ethan nous raconte la suite ?
Il faut aller la lire dans le recueil …
Bonjour, merci pour le partage, au plaisir de vous voir sur mon blog. https://jouet-leon.blogspot.com/
Vous pourriez au moins lire l’article, au lieu de commenter pour votre publicité
merci du partage…bonne soirée et bise amicale
avec plaisir
Très bonne nouvelle avec du suspense et un peu de tristesse !
oui j’ai bien aimé