Mais je souhaiterais ici la présenter, non pas de façon académique, mais plutôt vous parler de ce qui m'a le plus touchée dans son œuvre, essentiellement de l'autofiction, d'ailleurs.

Présentation de l’auteure Annie Ernaux
Alors, il ne s'agit pas du fameux livre "La place", que j'ai bien sûr lu et apprécié, et qui a obtenu, en 1984, le prix Renaudot.
Et il ne s'agit pas non plus de son tout premier livre, "Les armoires vides", publié en 1974, ni d’autres livres, primés ou pas.
Tous les livres d'Annie Ernaux valent la peine d'être lus, ne serait-ce que parce que le particulier y parle de l'universel, avec une plume toujours juste. Parfois même dérangeante, tant elle ne cherche pas à s'encombrer d'artifices, encore moins de demi-mesures destinées à ne pas déranger le lecteur.
Annie Ernaux est cette auteure qui dit, qui ose dire. Tout.
Alors, je vous conseille tous ses livres…
Mais je tiens absolument à vous parler de celui qui m'a le plus marquée. Celui qui m'a accompagnée. Celui qui a fait que je me sois sentie à la fois comprise et moins seule, dans certaines situations de ma vie "de femme". Il s'agit du livre "La femme gelée", publié en 1981.
La femme gelée
Dans ce livre, nous sommes au début des années 70, peut-être même juste avant. En tous cas, un vent de liberté a soufflé sur la vie des femmes, sur la condition féminine. Ceci est la réalité sociologique, celle qu'on nous apprend, "la belle histoire", dirais-je…
Et voici qu'avec sa merveilleuse plume incisive, Annie Ernaux nous raconte une histoire, un peu, beaucoup moins jolie : l'histoire d'une femme qui croit dur comme fer qu'elle est l'égale de l'homme. Puisqu'elle a fait des études. Puisqu'on le lui a dit, aussi.
Jusqu'au jour où elle se lance dans "le mariage" et "l'aventure de l'enfantement". Où elle s'enfonce, jusqu'au cou. Avec pour unique porte de sortie, ce qu'elle nomme "son étoile", soit : réussir le concours la menant à devenir enseignante.
Oui, exercer ce métier pour lequel elle a fait des études.
Sauf que ça ne marche pas…
Parce que, si cette femme est bel et bien admise au concours et devient enseignante, elle demeure engluée dans le rôle de la femme qui doit assumer toutes les tâches domestiques.
Le travail ne la libère pas vraiment. Pas du tout, même. Entre réunions écourtées et enfants déposés trop tôt à la crèche, entre vie professionnelle choisie, courses et ménage, où se trouve l'épanouissement prôné, voire promis par et pour les femmes ?
Nulle part, puisque, et ce livre le démontre magistralement : tout dépend de la façon dont se positionne le mari.
Le sien décide de considérer que la gestion des enfants et celle de la maison est le travail que son épouse lui doit, qu'elle travaille à l'extérieur ou pas…
Ce livre est encore et toujours d'actualité, alors que 40 ans séparent le moment où il a été publié et aujourd'hui…
C'est dire si les choses peinent à évoluer, puisqu'à l'heure actuelle, rien n'a changé. Si, le vernis social qui craque un peu plus facilement, peut-être.
Mais à part ça : quelle place pour la femme, en 2021, si elle a des enfants et que son mari considère qu'elle doit travailler à l'extérieur, ainsi qu'assurer un travail de domestique non payée "H 24" à l'intérieur de son foyer ?
Ce livre pose donc des questions essentielles, avec une acuité rare, car il faut continuer à dire que ça ne va pas, pour les femmes.
Non, ça ne va toujours pas. Après des générations de luttes.
Ce livre dit à quel point non. Non, ce n'est pas parce qu'une femme fait des enfants qu'elle devient, du jour au lendemain, esclave.
A l'heure où on considère que lorsqu'une femme dit que "non, ça ne va pas", elle doit se taire sous prétexte de passer pour "une geignarde", je dirais que non, non : ne surtout pas se taire, justement pas. Et lire, relire ce livre, le comprendre surtout, et refuser que les femmes continuent à vivre cela, cette vie qui commence par une forme de confort douillet pour finir dans une forme d'esclavage.
Nous sommes en 2021, et je ne remercierai jamais assez l'auteure de "La femme gelée" d'avoir su dire avec ses mots justes et beaux, ce qu'il en était dans les années 60 à 70, et finalement, ce qu’il en est toujours de la condition de la femme mariée avec enfants. « La femme gelée », ou comment le rêve vient se briser sur les murs d’une réalité qu’on tente à tout prix d’occulter…
Un livre qu'il est urgent de lire tant nous régressons dès qu'il s'agit de la femme et des enfants.

Une présentation signée Solange Schneider pseudo Zalma écrivain, auteur de « Chemins étranges » et « Points de fuite »
5 commentaires
les choses sont ce qu’elles sont, et c’ est toujours la femme qui enfante, tant que tous les bébés ne seront pas éprouvettes !
Avant on considérait comme normal que l’ homme soit chargé de faire vivre le foyer, tandis que la femme s’occupait des enfants et de la tenue de la maison
L’équilibre femme-homme est une bonne chose.
Je ne l’ai pas lu ce livre, contrairement à certains autres de ses romans, je vais réparer cet oubli . Merci pour cette superbe présentation
avec plaisir
Malgré les polémiques autour de l’auteur, suite à l’attribution, hier, du Prix Nobel de Littérature, je suis heureuse de voir que l’article est amplement lu et partagé.
Il traite des livres d’Annie Ernaux, pas de ses « prises de position politiques » qui, elles, n’imprègnent pas ses livres.
Les livres d’Annie Ernaux, auteure désormais « Prix Nobel de Littérature », ont beaucoup à nous dire, et valent la peine qu’on les découvre.