La tasse de la saint-valentin une nouvelle écrite spécialement pour la Saint-Valentin par Solange Schneider pseudo Zalma.
La tasse de la saint-valentin
Gilles avait déposé son cadeau sur la table du salon, entre le bouquet de fleurs artificielles figées dans leur vase en verre épais, et la tasse du petit déjeuner que Corinne avait oublié de déposer dans l’évier.
« Qu’est-ce que ça peut bien me faire ? » pensa-t-elle en ramassant sa tasse vide et les miettes, au passage. Corinne se dit qu’il s’agissait sans doute d’un stupide cadeau supplémentaire, celui que son mari se sentait obligé de lui faire, au moins une fois par an, pour « la Saint-Valentin ».
« Un seul cadeau par an et des reproches tous les jours », marmonna Corinne entre ses dents, en rinçant la tasse décorée d’un père Noël qu’elle trouvait ridicule, affublé de son manteau rouge et de son traîneau tiré par des rennes : l’un des nombreux cadeaux de son mari, cette tasse sans doute fabriquée par des Chinois, dans des ateliers sombres et qui avait traversé les mers pour venir jusqu’à elle, Corinne. Pour qu’elle y verse son café dedans tous les matins, alors qu’elle possédait déjà un nombre incalculable de tasses.
Elle s’essuya les mains, soupesa le paquet emballé de papier rouge et vert, des couleurs écossaises qui lui rappelaient leur voyage de noces, vingt-cinq ans plus tôt : des paysages doux et verts, les pierres anciennes des châteaux qu’ils visitaient main dans la main, et puis cette étrange légende qu’elle n’avait jamais oubliée…
Corinne secoua la tête, chassant la légende et le fantôme de cette femme au visage pâle, errant dans les ruines écossaises… Elle rangea la tasse désormais propre parmi les vingt-quatre autres tasses au décor vieux jeu, « vraiment ringard » pensa-t-elle : des sapins verts décorés de guirlandes et d’étoiles ; une tête de renne portant une écharpe rouge ; des biscuits de Noël avec des bâtons de cannelle… « En plus, il confond Noël et la Saint-Valentin », soupira Corinne.
Elle se demanda si Gilles avait réellement changé depuis le début de leur mariage, ou bien si c’était elle qui n’était plus capable de le regarder avec les yeux de l’amour. Avait-il toujours eu des goûts aussi démodés ? Qu’il était loin du jeune homme qu’elle avait épousé, vingt-cinq ans plus tôt ! Et ces balades dans l’herbe verte d’une Écosse brumeuse… plus qu’un lointain souvenir, perdu au fond de sa mémoire.
Au lieu de cela, une foule de reproches pleuvait presque chaque jour : elle avait encore oublié le pain, la belle affaire ! Mais ne pouvait-elle donc pas faire attention, alors qu’il venait de nettoyer avec minutie l’intérieur de la voiture ? Pourquoi faire autant de miettes sur le tapis, bon sang ? Et la liste était longue…
Corinne avait aussi fini par créer la sienne, au fil des ans : Gilles ne pouvait-il donc pas la prévenir quand il avait du retard ? Oui, même de cinq minutes… ! Et puis, s’essuyer les pieds sur le tapis avant d’entrer dans la maison, était-ce si dur que ça ? Sans compter les tubes de dentifrice, jamais correctement rebouchés…
Sans enthousiasme, Corinne se décida à soulever le paquet, et à en déchirer le papier, en se demandant quel décor idiot elle trouverait, cette année, sur « la tasse de la Saint-Valentin ».
Elle saisit la tasse enfin déballée par l’anse, soupira en la tournant en tous sens : elle était blanche, et pour une fois non pas en grossière céramique mais en fine porcelaine. Corinne se dit que décidément, Gilles manquait de plus en plus d’imagination, qu’il lui faudrait prendre son courage à deux mains et lui avouer qu’elle détestait les vingt-cinq tasses de sa collection, à laquelle s’ajoutait désormais celle-ci.
Voilà, ce soir, quand il rentrerait du travail, elle lui dirait à peu près ceci : « Gilles, ça a assez duré, je n’aime pas les tasses que tu m’offres chaque année ». Sauf que c’était peut-être trop direct, alors, elle pourrait lui dire : « Écoute, Gilles, je sais que tu penses me faire plaisir, mais… » Quelque chose tomba soudain de la tasse que Corinne venait de renverser en la tenant à l’envers : un petit carton, blanc lui aussi, et plié en deux.
Elle le ramassa, le déplia et lut ces mots : « Rendez-vous à Édimbourg où je me trouve déjà : ton billet d’avion est caché derrière la rangée des tasses de la Saint-Valentin ». Le cœur de Corinne fit un léger bond de joie dans sa poitrine : bien sûr, le psychologue qu’ils avaient consulté leur avait conseillé de retourner sur le lieu de leur voyage de noces, mais elle ne pensait pas que Gilles avait pris cette idée au sérieux.
Tandis qu’elle fouilla derrière la rangée de tasses aux décors démodés, à la recherche du billet d’avion, Corinne sourit en pensant au fantôme de cette femme qui apparaissait de plus en plus souvent dans ses rêves : et si c’était elle qui avait guidé son mari, l’aidant à faire le bon choix ?
Elle se réjouit alors de retourner en Écosse, de fouler l’herbe verte, d’apercevoir peut-être le pâle fantôme de la femme se promenant à travers les ruines d’un château oublié… et puis, par-dessus tout, et pour la première fois depuis bien longtemps, Corinne se réjouit à la seule idée de retrouver Gilles, presque comme au premier jour de leur rencontre…
Une nouvelle signée Solange Schneider pseudo Zalma écrivain, auteur de « Chemins étranges » et « Points de fuite »
7 commentaires
a la place je l’emmènerai maintenant dans les orties vertes de l’Irlande la Corinne ! Encore une éternelle insatisfaite…
Pauvre Corinne.
On oublie tout, et on recommence !
balles neuves comme au tennis ?
Il est quand même encore capable de la surprendre c’est bon signe…
un très bon signe
Mais oui, Renée : à la Saint-Valentin, tous les espoirs sont permis !!!