Écrit entre deux pays et deux cultures par Yuzu Morikawa, Nos vies entre les morts dépeint l’intimité de jeunes citadins d’aujourd’hui, confrontés à l’individualisme et mûs par leur désir d’une existence qui fait sens.
Nos vies entre les morts : un roman qui plonge les lecteurs dans le Japon d'aujourd'hui où règne l'individualisme, la solitude… et la quête de sens
Dans moins de cinq heures, j’ouvrirai la porte sur plusieurs décennies d’existence, des objets de toutes sortes avec chacun une histoire que plus personne n’est là pour raconter…
Elle s’occupe des morts oubliés.
À Tokyo, Noriko, 31 ans, travaille pour une entreprise spécialisée dans la remise en état des habitations des kodokushi, ces "morts solitaires" parfois découverts des semaines après leur décès. C’est elle qui décide du devenir de leurs effets personnels, une mission dont elle essaye de s’acquitter le plus humainement possible.
Mais peut-on toujours tenir la mort à distance ?
Contrairement à son trio de collègues plus jeunes et insouciants, Noriko lutte pour ne pas se laisser hanter par les derniers instants des disparus. Sa solitude, autrefois désirée, lui apparaît de plus en plus comme un enfermement.
Elle entame alors une liaison qu’elle espère sans implication, pour tenir ses émotions à distance. Jusqu’à ce que le réel, tumultueux et intransigeant, la rattrape.
Plus qu'un roman, un tableau humaniste d'un Japon que l'on raconte peu
Loin des images d'Épinal que nous avons parfois sur le Japon, dans « Nos vies entre les morts » Yuzu Morikawa aborde une thématique sociale profonde et sensible, encore peu connue : celle de la solitude des grandes villes et d’un monde vieillissant, loin d’une modernité prospère.
Une situation d'autant plus d'actualité que, depuis la pandémie de Covid-19, le pays du soleil levant a dû se doter d'un ministère de la Solitude pour lutter contre la vague de suicides frappant son pays (source).
Surfant sur la tendance actuelle d'un attrait du grand public et des mass medias pour le Japon, l'auteure nous amène aussi à nous interroger sur un phénomène qui effleure aussi parfois l'Occident : les kodokushi, ces personnes décédées chez elles sans que l’on s’en aperçoive. Comme ce Breton de 80 ans, dont le décès n'a été constaté que 4 mois plus tard (source), cette Italienne momifiée chez elle (source) ou ce Nivernais de 35 ans retrouvé trois semaines après son décès (source).
La mort, taboue et tenue depuis des décennies à distances de nos existences, fait son retour dans nos sociétés. Au fil des pages, les lecteurs découvrent comment le Japon l’appréhende, entre embarras et respect.
Yuzu Morikawa pose un regard sans compromis mais non dénué d’optimisme sur nos sociétés individualistes. Elle montre ainsi comment la jeunesse, entre désillusion et débrouillardise, se réinvente en permanence.
Par la voix de sa narratrice, elle livre aussi un récit sensuel et intimiste, avec une vision de la sexualité crue et émouvante, sans vulgarité ni lourdeur. Son univers singulier, riche en personnages inattendus, nous embarque aussi au cœur d'une histoire d'amour où rien n'est jamais joué…
Extrait
"Le nettoyage ou cleaning, comme on l’appelle dans le jargon officiel chez HeavenlyWays – comme si l’usage de l’anglais aseptisait l’opération pour la rendre plus présentable –, de la maison de M. Tatsumi aura duré trois jours complets.
Dès que HeavenlyWays reçoit un appel pour la prise en charge d’un logement de kodokushi, Koike, Aoyama et moi empruntons la camionnette, ou je les rejoins sur place, le patron faisant rarement le déplacement. Il arrive qu’on croise les services sociaux ou la police quand ils s’éternisent, mais c’est rare. Le corps, lui, n’est déjà plus là. En combinaison protectrice, avec masque et gants, je commence par prendre des photos, lesquelles font office d’état des lieux. Puis Koike et Aoyama repèrent les choses à jeter en priorité – denrées périssables, plantes mortes, animaux morts, ce qui arrive parfois… – pendant que j’observe l’ensemble pour évaluer la quantité de travail que nous allons devoir effectuer.
Nous découvrons le logement tel que le défunt ou la défunte l’a laissé, et c’est comme si on débarquait au milieu d’un repas ou d’une sieste, avec le sentiment d’interrompre quelque chose. Je ne crois pas aux fantômes, je ne parle pas non plus aux morts. Ils n’ont rien à me dire, on ne s’est jamais rencontrés et ils sont partis. Je me penche au contraire sur ce qu’il reste de vie, je m’attache à la façon dont cette personne pourrait subsister dans le souvenir des vivants. Je traque les marques, les reliefs susceptibles non pas de raconter qui était le défunt, parce que je sais combien résumer une personne à l’endroit où il a vécu ses dernières années peut être réducteur.
Les intérieurs ne sont que la surface d’une fin de parcours. Les piles de vêtements d’un homme ne disent rien de ce qu’il a été enfant, adolescent, adulte, elles ne racontent rien de ses amours, de ses peines ou de ses bonheurs. Ce qu’il reste des disparus n’est jamais que des restes."
Portrait de Yuzu Morikawa, l'auteure
Née dans la préfecture de Nara, Yuzu Morikawa vit depuis plusieurs années entre la France et le Japon. Après des études d’Histoire et différents métiers, elle est aujourd’hui traductrice et interprète.
Écrit directement en français, Nos vies entre les morts est son premier roman.
4 commentaires
Presque une suite à l’autre article. Je prefere la culture japonaise à la culture chinoise. Pour en revenir au précédent article, j’ai un pote de mon club Harley qui a épousé une chinoise…. Evidement bien plus jeune que lui/ Mais c’est une tradition en Chine pour une jeune fille d’épouser un homme plus vieux…. Bref, elle est installé en France depuis 10 ans et nous en raconte des vertes et des pas mures sur la Chine.
@+
Je suis allé deux fois en Chine, et une amie chinoise m’en a raconté aussi
un pays de traditions confronté au modernisme peut souffrir !
Triste de voir des personnes mourir sans personne pour les soutenir
oui c’est triste