Tous les mercredis, Yves Carchon, écrivain, nous ouvre son univers littéraire, en nous offrant le plaisir de la lecture d'une nouvelle ou d'une micro-fiction.
Le masque noir d’Elsa
On me dira : encore une histoire d’amour fou ! Pas du tout ! C’est même le contraire.
Enfin, peut-être…
Peut-on savoir quand on aime vraiment ?
Je veux dire quand la haine n’est pas au rendez-vous ?
Les lunettes noires qu’Elsa portait m’ont très longtemps caché ses yeux. Elle les gardait parfois au lit, ne les ôtait que quand j’avais éteint la lampe de chevet.
Le jour, — c’était une fille du soleil, elle arborait ces filtres noirs avec dédain et morgue. Il suffisait de mesurer l’infime pli à la commissure de ses lèvres pour être sûr qu’elle ne vous portait franchement dans son cœur.
Son cœur ?
Au fait, pas sûr qu’elle eût un cœur !
Mais un front large, un cou de rêve et des lobes d’oreille qui m’avaient fait craquer.
Au tout débuts de notre relation, elle daignait poser ses lunettes et j’avais tout loisir de boire à son regard. Puis, peu à peu, elle m’a interdit son regard.
Et le reste.
Une drôle de femme, Elsa.
Avenante avec le boucher, souriante avec son coiffeur, joviale avec le balayeur ou le facteur. Redoutable avec moi. M’épiant derrière ses verres fumés comme un insecte indésirable.
Sur la plage, en marchant, lunettes sur le nez, elle déployait ses charmes.
Combien de têtes se retournaient, m’enviaient ?
— Qu’ils y viennent, me disais-je.
La vie a fait que nous nous séparions. Je l’ai revu un jour dans un fauteuil roulant. Elle portait ses lunettes, un masque noir qu’on aurait dit incrusté dans la chair du visage.
Hautaine, la moue navrée. D’un geste bref que je connaissais bien, elle a fait signe au gars qui poussait son fauteuil.
Et j’ai compris que lui aussi était interdit de regard.
Une micro-fiction signée Yves Carchon, écrivain, auteur de "Riquet m'a tuer", de "Vieux démons", de « Le Dali noir », et de son dernier polar « Le sanctuaire des destins oubliés »
8 commentaires
Dieu nous en préserve
aussi
Elsa est ligure …Forza Italia
absolument
Triste de revoir un amour dans ces conditions…Payement de toutes ces méchancetés?
peut-être…
Ce retranchement du regard derrière l’opacité des lunettes noires, c’est terrible.
oui et c’est souvent