La soirée était bien avancée et chacun m’écoutait pérorer sur le roman français du XIXème. Moi, faut pas trop me pousser. Après un verre ou deux, je parle Littérature. C’est une manie chez moi.

Vous avez dit Balzac ?
Généralement, on m’écoute poliment, avant de réprimer de furtifs bâillements et papilloter du regard. Alors, je lâche l’affaire et la tablée flapie pour regarder autour de moi. Souvent mon œil tombe sur un visage féminin, à la table voisine, qui me regarde avec une vraie curiosité. Une dame qui, pour le moins, adore l’écriture.
Ce soir-là, assise au bar, Linda avait suivi mon long topo sur la phrase balzacienne et la scansion de celle de Stendhal. Elle me parut intéressée. Je me levai en m’excusant auprès de la tablée et rejoignit le bar. Linda, me voyant approcher, fit mine de tourner la tête.
— Je vous dérange, peut-être ?
Elle se tourna et me décocha le plus beau des sourires.
— Mais pas, mais pas DU tout ! Je commandai un gin.
Voyant qu’elle avait déglingué son gros ballon de rouge, je proposai :
— Un autre ?
Elle a fait signe que oui.
— Moi, on m’appelle Franck. Et vous ?
— Linda.
Le gin et le nouveau ballon s’alignèrent devant nous. Linda me regarda à plein visage.
— Savez, commença-t-elle, je ne suis pas DU tout d’accord au sujet de Balzac ! J’ai bien compris que vous avez un faible pour Stendhal, mais moi je tiens Le lys dans la vallée pour un roman superbe !
Voilà qui commençait bien mal. On a grimpé chacun sur nos chevaux et hardi donc, petit ! On s’est mis à parler à bâtons décousus (ou rompus, je sais plus). L’alcool aidant, on a stendhaliser Balzac et balza-liquéfier Stendhal.
A deux heures du matin, juste à l’heure de la fermeture, on nous a mis dehors. Inutile de dire que je ne savais plus où j’avais garé mon cabriolet, et Linda se demandait bien où était passé son chapeau. On a fini chez elle, en rentrant en taxi. Le lendemain, Linda en sortant de sa chambre m’a révélé sa vraie nature…
N’en parlons plus : je n’évoquerai plus jamais ni Balzac, ni Stendhal !

Une micro-fiction signée Yves Carchon, écrivain, auteur de
- "Riquet m'a tuer",
- "Vieux démons",
- « Le Dali noir »,
- « Le sanctuaire des destins oubliés »
Et de son dernier polar : Deborah Worse
6 commentaires
en fait c’ était Linda chatterley
peut-être
J’espère qu’elle n’aime pas que l’écriture ?
va savoir…
🙃
sourire