Je m’appelle Yukio. Je vis au Japon et me loue à qui me veut. Mes tarifs ne sont pas onéreux, je dirais même accessibles aux gens de la classe moyenne. Quand je dis que je me loue, soyons clair : je me loue comme père, comme oncle, comme petit ami…mais je ne vais pas plus loin. C’est déjà beaucoup.
Deviens ce que tu es
Être, devenir père de substitution n’est pas franchement facile. J’ai un agenda déjà complet et plusieurs familles qui font appel à mes services. Un exemple parmi tant d’autres : Mme Osaka, veuve depuis trois ans, et qui a besoin d’une présence paternelle pour ses deux garçons… Eh bien, je suis là ! Une fois par semaine, je récupère les gamins à l’école et prolonge jusqu’au soir, attendant que leur mère rentre à la maison.
Entretemps, j’ai aidé les gosses à faire leurs devoirs, j’ai joué, mangé avec eux et bien sûr ils ont pris leur douche… Des liens peu à peu se sont noués entre nous trois : les gamins m’ont intégré totalement dans leur famille. Mme Osaka va même parfois jusqu’à me prendre le bras quand, certains dimanches, nous partons en promenade et que je suis requis pour nous rendre au Jardin Botanique…
J’ai fini par faire partie du clan Osaka, sans en être et tout en percevant un bon salaire. Il y a aussi Aiko, n’ayant toujours pas trouvé de mari. Dans tous les mariages où on l’invite, je dois donc l’accompagner et elle me présente comme son petit ami.
Comme je suis encore fringant, lisse comme un premier de la classe, elle me traîne ici ou là, sachant que je passe de partout et que je saurais faire grande illusion. Ce que je sais faire divinement, m’a-t-elle avoué hier en gloussant avec plaisir. Mon dieu, quel métier !
Je ne me plains pas et gagne bien ma vie. Il m’arrive parfois d’appréhender le jour où il me faudra lâcher ce job. Car ma vie ne sera plus la même : je devrais être moi, ce qui, entre nous, sera une toute autre histoire !
Une micro-fiction signée Yves Carchon, écrivain, auteur de
- "Riquet m'a tuer",
- "Vieux démons",
- « Le Dali noir »,
- « Le sanctuaire des destins oubliés »
Et de son dernier polar : Deborah Worse
8 commentaires
Ma foi, c’ est un métier qui rend service
Alors, pourquoi pas
ce n’est pas plus simple de dire nounou ?
Bonne question
Génial… j’adore l’idée et l’analyse !
Moi aussi
Un métier qui a des avantages c’est certain dans un monde où tut s’achète et se loue .
c’est très juste