Qu’on me croie ou pas, foi de vieux marin : me voilà rouillé comme un lourd cargo abandonné. Ensablé, devrais-je dire. Et peut-être encalminé. Sur le sable. Seul.
VALPARAISO
N’ayant pour rengaines dans la tête que ces chants que l’on beuglait dans les rades du monde entier. Zanzibar était un sacré point de chute, une ville où on posait le sac. Trois-quatre jours avant de repartir. On y éclusait des alcools forts et y rencontrait des filles girondes.
Fausses blondes qui tanguaient par les quais sans éclairage, aux pavés mouillés. Nos nuits étaient courtes. Au matin, on reprenait la mer, en mettant le cap sur Valparaiso, oh-oh ! C’est Manu qui était fier de constater qu’une fille était venue lui dire au revoir.
Sur le quai, poupée fragile, vue du bastingage, elle nous paraissait brindille. Pas épaisse, non. Mais c’était ses yeux qu’avait aimés Manu, de grands yeux de braise. La mer enlaçait bientôt nos rêves dans sa houle moqueuse, et notre cargo filait, évitant les mouettes qui guettaient les gestes du cuisinier, sorti sur le pont.
Un long fifrelin, Léo, au regard placide, au cerveau de mouche, qui riait quand l’un de nous se ramassait son lot de mer. Manu l’aurait volontiers tué. Il avait un mal fou à supporter son rire brutal qui montait tout en aigus et crescendo.
Un soir, lors d’une rixe avec un matelot, Léo avait bien failli passer par-dessus bord. Les jours suivants, il s’était fait invisible, jusqu’à ce lugubre soir où on l’avait retrouvé dans sa cabine, bel et bien pendu. Au loin, à la nuit tombée, avaient commencé à luire les premières lumières de Valparaiso. J’avais observé Manu du coin de l’œil. Il se contentait de regarder le ciel tout étoilé.
Une micro-fiction signée Yves Carchon, écrivain, auteur de
- "Riquet m'a tuer",
- "Vieux démons",
- « Le Dali noir »,
- « Le sanctuaire des destins oubliés »
Et de son dernier polar : Deborah Worse
6 commentaires
pas de tout repos la vie de marin
une vie dans chaque port
Pas besoin d’aller à Zanzi bar pour voir la Gironde …
Bon Mercredi
tu crois ?
Une interrogation subsiste en effet .
Merci pour cette nouvelle .
oui …