Tous les mercredis, Yves Carchon, écrivain, nous ouvre son univers littéraire, en nous offrant le plaisir de la lecture d'une nouvelle ou d'une micro-fiction.
Room 1222
Taipei était toute noire de nuit autour des luminaires qui en trouaient l’opaque splendeur. Peu d’étoiles accrochées à sa trame.
Rien que les hauts gratte ciels en rangs serrés, soldats d’un présent inquiétant, qu’il contemplait, vaguement effaré, quelque peu atterré par leur magnificence.
Si hauts, si droits.
Il en avait déjà rencontré à Shangaï, ce n’était pas un scoop pour lui. Et cependant, il mesurait leur monstrueuse présence, se sentant bien petit derrière les vitres de sa chambre : Tango Hotel, room 1222.
Un numéro bizarre, s’était-il dit en saisissant la clé. Mais l’hôtesse à l’accueil n’y avait rien vu d’insolite.
Lui, si.
Cette succession de 2 après le 1…
Maintenant qu’il était arrivé, qu’on avait monté ses bagages, il devrait joindre May et lui signaler sa présence à Taipei.
Il hésitait, se demandant si c’était la meilleure des idées.
Ayant correspondu depuis bientôt un an en mode messagerie, un lien s’était noué entre eux…
Mais quel était ce lien ?
L’avaient-ils tous les deux fantasmé ?
Peut-être…
Un point était crucial pour lui : un sentiment pouvait-il naître par le simple fait de s’écrire ?
Quelle était donc la source des sentiments ?
Il repensa à la correspondance entre Madame Hanska et notre grand Balzac. Ça avait pourtant bel et bien commencé comme cela : quelques lettres échangées, des confidences livrées dans le vivier de leur correspondance…
Honoré avait fait le déplacement en Russie, comme lui à Taipei…
Mais un tel romantisme avait-il encore cours en ce monde ?
Il en doutait et hésitait à joindre May.
Sans doute dormait-elle encore…
Il n’allait pas la sortir de son lit !
Car il était certain qu’en l’appelant, elle serait là, dans la demi-heure suivante. Il gagna le grand lit, s’y assit.
Trop tôt pour l’appeler. Il s’allongea. Le sommeil le saisit.
Trois heures plus tard, en s’éveillant, il mesura l’absurdité de la situation.
Cherchant sur son portable le prochain vol pour Paris, il ferma sa valise, se promettant qu’il n’en soufflerait rien à May.
Le jour était levé, déployant sur Taipei sa citadine et franche crudité.
Une micro-fiction signée Yves Carchon, écrivain, auteur de "Riquet m'a tuer", de "Vieux démons", de « Le Dali noir », et de son dernier polar « Le sanctuaire des destins oubliés »
Yves prend des vacances, il vous souhaite un bel été , et vous donne rendez-vous en septembre.
2 commentaires
Ah oui , à quoi tiennent les rendez vous manqués, une impression déclenchée par un nombre bizarre .
Toujours aussi fan des nouvelles d’Yves à qui je souhaite de bonnes vacances.
Bonne fin de journée Bernie.
Merci pour lui, je te conseille vivement son nouveau polar.