La photo la montrait endormie. Pas morte, non : endormie. Au pied du lit qu’elle avait dû ouvrir, espérant s’y vautrer….
Morte ou pas morte
Ivre probablement, ayant fouillé dans un tiroir de la commode pour trouver quoi, on ne savait, avant de tituber et s’étaler de tout son long sur la moquette de la chambre. On la savait très riche, très libre et faisant la java, tantôt craquant sa thune au bras d’un gigolo, tantôt jouant ses bagues au casino.
Elle buvait sec, jetait les empaffés qui voulaient la draguer, se déplaçait dans une Jaguar décapotable conduite par un chauffeur très cool. Une certaine classe et un regard intelligent. Elle avait fait la une des journaux, tourner un film ou deux, sans grand succès.
Bref, elle était la cliente idéale pour un articulet dans le torchon où je bossais. L’Avventura, c’était son nom, vivait d’indiscrétions et autres scoops de stars sur le déclin.
Sandra, c’était le nom de la nana de la photo prise par Paco, m’avait bien l’air d’en faire partie. J’ai relu à voix haute les notes que j’avais prises en écoutant mon photographe préféré me débiter le destin pailleté de Sandra. Il m’a interrompu :
— Et ses mensurations, tu n’en parles pas ?
— Paco, ai-je soupiré. Cela ne suffit pas à faire un bon papier !
— Ah, bon ?
Paco est un type sympa mais disons un peu lourd. Paparazzi est son boulot. Il mitraille à tout-va avec l’espoir de décrocher un jour le cliché de sa vie qui le rendra célèbre. J’ai déglingué mon verre.
— T’en reprends un ? m’a demandé Paco.
— Merci.
Paco s’est enquillé le sien.
— Alors, tu marches pour le papier ? Avec une telle photo !
— Un peu maigre !
— Comment ça, un peu maigre !
J’ai soupiré, prêt à rendre la photo à Paco.
— Si au moins ta Sandra était morte !
Paco m’a regardé d’un drôle d’air. Il m’a semblé embarrassé, contrit, péteux, morveux, tout ça se lisait bien sur son visage. Quoi, j’avais dit une connerie ?
Il a fini par bredouiller :
— Mais… elle est… morte !
J’ai dû marquer le coup, avant de me reprendre :
— Attends, t’aurais pu me le dire !
Paco a grimacé un pâle sourire.
— Mais je…Enfin, c’est ce qui m’a semblé…
J’ai décoché à mon Paco le plus beau des sourires.
Morte ou pas morte, je m’en foutais au fond.
Sandra à elle seule ferait un excellent article !
Une micro-fiction signée Yves Carchon, écrivain, auteur de
- "Riquet m'a tuer",
- "Vieux démons",
- « Le Dali noir »,
- « Le sanctuaire des destins oubliés »
Et de son dernier polar : Deborah Worse
6 commentaires
je mitraille pas mal aussi …..
Tu as l’oeil
Ma foi, il n’ est pas rare que la mort confère la célébrité
C’est vrai aussi
Une sacrée dose d’humour noir le journaliste. Paco en fait les frais .
Paco est tombé sur un os